Mes Frères et moi : Une fratrie en or

Mes frères et moi est le premier long métrage de Yohan Manca dans lequel il s’attelle à revisiter le mythe des cités. Et s’il y a bien une chose que l’on retient en voyant ce film, c’est que son réalisateur connaît son sujet tant le scénario est crédible et proche de la réalité. Dali Benssalah, Sofian Khammes, Moncef Farfar et enfin Maël Rouin Berrandou sont les quatre acteurs de cette fratrie endurcie par la vie, accompagnée plus tard par Judith Chemla. La chose la plus déstabilisante avec ce film est qu’il y a à la fois tout et rien à dire sur le sujet. Tout car en réalité, du scénario au jeu d’acteur, en passant par la manière dont est contée l’histoire, tout y est juste, à la virgule près. Et rien à dire car lorsqu’on voit des histoires aussi soignées et précises dans leurs intentions, il est difficile de trouver quelque chose de pertinent à rajouter tant le long métrage semble d’une limpidité exemplaire. Mais nous allons tout de même relever l’exercice.

Nour vit dans un appartement de cité, à priori sur les bords de mer du sud de la France, avec ses trois grands frères. Leur père n’est plus et leur mère est mourante depuis longtemps dans son lit, dans l’appartement. Les quatre frères ont rapidement troqué leur liberté quotidienne dans le but de financer au maximum les soins de leur mère. Trafic illicite de produits en tous genres et marchandisation du corps deviennent le quotidien des 3 plus grands frères. Le dernier, Nour, se retrouve à faire un TIG peu enviable, jusqu’au jour où, étant contraint de repeindre les murs du collège, il découvre une salle où des cours de chant sont prodigués. Sa passion naissante pour la musique et le chant l’emmène alors sur un chemin auquel il semblait ne jamais pouvoir se destiner.

S’il y a bien un domaine dans lequel le cinéma français ne cesse de se perfectionner, ce sont les comédies dramatiques et les drames sociaux, ou sociétaux. Depuis quelques années, lorsqu’il s’agit de trouver un équilibre minutieux et juste dans la manière d’aborder drame et humour au cours d’une même histoire, les productions les plus ambitieuses sont au rendez-vous. Mes frères et moi ne fait pas exception. Son lyrisme et sa positivité donnent le ton. Mes frères et moi aborde une problématique simple et pourtant efficace. L’art peut sauver des vies et sortir les gens de leurs difficultés. Nour s’éprend de Pavarotti et se découvre un amour pour le chant et l’opéra. Le contraste entre l’opéra et les cités est immédiat. Alors que les cités ont permis l’émergence du rap et de l’émancipation des quartiers populaires par la musique urbaine et le phrasé, le cadet de cette fratrie réussit à ressentir l’émotion d’un art considéré pour l’élite. Montrant à la fois qu’aucun art n’est une exception et que tous sont à la portée de tout le monde. Mais également qu’il ne faut pas laisser les prédispositions du milieu social dans lequel on vit choisir son parcours. Nour possède un talent, et par chance, l’acteur qui l’incarne également, prouvant qu’à coeur vaillant, rien n’est impossible. L’impossible recule devant celui qui avance.

Par ailleurs, Mes frères et moi, comme son nom l’indique, parle de 4 frères que tout semble opposer et réunir en même temps. Chacun d’eux possède un caractère extrêmement distinct des autres et clairement identifiable. L’aîné, Abel (joué par Dali Benssalah) est le protecteur de la famille, dur, intransigeant, il n’hésite pas à imposer sa vision et son avis s’il juge que cela sera bénéfique pour la fratrie. Il n’est pas dénué de coeur pour autant mais sa coquille le camoufle bien. Mo, le second (joué par Sofian Khammes), est la quintessence du dragueur. Musclé, sportif, drôle, tchatcheur, persévérant, il ne lâche rien lorsqu’il a une idée en tête. Et cette idée semble souvent finir avec une feuille de vigne en guise de sous-vêtement. Le troisième, Hédi (joué par Moncef Farfar) est un électron libre agissant avec dangerosité dans un trafic de drogue peu gratifiant. Son impulsivité rend son personnage plus intéressant dans le dernier acte, en proie avec l’énergie et la haine qu’il exulte pour protéger ou sauver ce(ux) qu’il aime. Lui qui à première vue paraissait antipathique, finit par être totalement empathique par sa sincérité d’âme. Enfin vient le petit dernier, Nour, simple observateur, faisant le liant avec le spectateur, gagne progressivement sa place dans l’histoire. Son amour pour Pavarotti finit par éclipser ses 3 frères de la narration. Sa candeur et son émerveillement face à la professeure de chant qui lui offre littéralement une porte de sortie des ennuis et de la misère est absolument magnifique. On ne peut s’empêcher d’évoquer la prestation rayonnante de Judith Chemla qui fait office de clé de sol de cette production. En devenant le guide artistique de Nour elle permet de s’accrocher à quelque chose de stable dans l’histoire et nous invite à la table des amoureux de l’art sans même savoir si on y est réceptif. Nour l’est pour nous, sa maîtrise est une note de légèreté de plus pour apprécier le film.

C’est à la fois cette démarcation et cette transparence d’écriture qui fait le charme du long métrage. Au premier abord, avoir 4 personnages aussi marqués les uns que les autres pourrait donner une impression cartoonesque à la production. Surtout qu’ici leur caractère est extrêmement dessiné. Les acteurs semblent prendre un plaisir immense à exagérer leurs traits de caractère, et à l’écran cela paraît simplement encore plus juste. La force du cabotinage, plus c’est gros, mieux ça passe. Et en même temps c’est précisément cette diversité extrême dans les différents jeux qui offre à Mes frères et moi une si grande aura. De plus, si les acteurs ne sont pas réellement frères, ils ont su développer une amitié forte qui se dégage comme une fraternité à l’écran. Leur complicité explose littéralement le cadre. De là à déterminer si cela relève de leur aura naturelle ou de la précision d’écriture du scénario… Il s’agit certainement des deux pour un résultat aussi probant. Ajoutons à cela la musique, qui occupe une place évidemment très importante dans l’histoire. Pas seulement celle de l’opéra mais également la bande originale. Notamment l’excellente musique Ya Nas de Bachar Mar-Khalife que l’on peut entendre dans la bande-annonce et que l’on avait déjà pu écouter durant la saison 2 de Mortel.

L’histoire est simple, fluide. Les personnages sont assez standards et pourtant on passe un incroyable moment. La justesse entre émotion et rire est impeccable et aucun violon n’est de sortie pour nous tirer la larmichette malgré que La Traviata fasse son office. On ressort de la séance avec un sourire béat aux lèvres et l’oeil humide. Une excellente séance de cinéma où toutes les intentions sont claires et tous les objectifs sont atteints. La thématique abordée est un point fort majeur du film car tout le monde s’y retrouve. Y compris en prenant exemple sur l’opéra, un art difficile d’accès pour les gens les plus modestes. Une manière supplémentaire de dire qu’il ne faut pas s’écarter de quelque chose que l’on aime ou que l’on pourrait aimer pour la raison que cela ne nous est pas vraiment destiné. Toujours est-il qu’il s’agit d’une excellente surprise dont Yohan Manca réussira, on l’espère, à tirer profit pour la suite de sa carrière.

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