La rue chaude : Le poison du désir amoureux

Un chat noir déambule dans une ruelle sur une musique d’Elmer Bernstein. Filmé telle une panthère se mouvant à la recherche d’une proie et rencontrant un autre chat qu’il ne tarde pas à affronter, ce générique d’ouverture de La rue chaude, signé Saul Bass est longtemps tout ce que l’on a retenu du film réalisé en 1962 par Edward Dmytryk. C’est dommage tant le film s’avère être une réussite, récit noir à la naissance houleuse et dont la disponibilité dans un superbe combo Blu-ray + DVD avec livret chez Wild Side depuis 17 novembre dernier est la parfaite occasion de (re)découvrir. On notera d’ailleurs qu’il était tout à fait logique que ce soit Wild Side qui édite ce titre en France puisque le titre original de La rue chaude n’est autre que Walk on the wild side et que le film comme la boîte d’édition partagent un chat noir comme emblème…

Nous sommes pendant la Grande Dépression. Dove Linkhorn est un texan quittant le domicile paternel pour la Nouvelle-Orléans. Là-bas, il compte retrouver Hallie, qu’il a rencontré quelques années plus tôt et qui fut son grand amour. Sur le chemin, il rencontre la farouche Kitty qu’il emmène avec lui. Mais une fois sur place, ils se séparent suite à un larcin commis par la jeune femme. Dove trouve refuge chez Teresina, la propriétaire d’un restaurant et d’une station-service et se met en quête de Hallie. Il ignore que celle-ci travaille désormais à ‘’La maison de poupées’’, une maison close de la ville et que la tenancière des lieux, Jo, très amoureuse d’elle, compte bien la garder sous sa coupe…

C’est donc à un sujet sulfureux que le film s’attaque, l’agent et producteur Charles K. Feldman ayant obtenu les droits du roman de Nelson Algren (auteur de L’homme au bras d’or) en sachant très bien combien cela pouvait cartonner au box-office (c’est d’ailleurs le premier film à montrer ouvertement une maison close même si le terme n’est jamais prononcé). Il se heurte cependant à un problème : en 1962, les mœurs se libèrent mais le Code Hays est toujours en vigueur et il est impossible d’être fidèle au livre dont le contenu est beaucoup trop explosif pour le cinéma hollywoodien de l’époque. Il faudra donc faire des compromis, au prix de nombreuses versions du scénario passées entre les mains de plusieurs auteurs reconnus comme John Fante ou Ben Hecht avec au cœur de l’adaptation une immense problématique : le personnage de Hallie. En effet, Feldman impose sa maîtresse Capucine dans le rôle et veut donc lui offrir un grand personnage. Or, comme le souligne John Fante dans une lettre adressée à Feldman, ‘’il n’y a aucune grandeur, aucune noblesse, aucun héroïsme chez une nympho lesbienne, qui en plus fait la pute’’. Difficile de conjuguer les deux, ce que le scénario fera tant bien que mal en transformant Hallie en sculptrice raffinée (habillée par Cardin en dépit du bon sens) plus ou moins tombée sous la coupe de Jo malgré son indépendance. Une écriture presque schizophrène et incertaine due à la mainmise de Feldman sur le projet, qui plaçait tellement les acteurs de son agence sur les films qu’il produisait que les syndicats hollywoodiens empêchent désormais que les agents puissent être producteurs.

Tiraillé entre son sujet sulfureux et ses impératifs, le film fit passer un mauvais moment à tout ceux qui y participaient. Edward Dmytryk en garde un souvenir amer, agacé par l’ingérence permanente de Feldman. Laurence Harvey et Capucine se détestaient, Dmytryk semblait avoir du mal à contrôler Harvey qui ne cessait de faire des propositions pour mettre son personnage en valeur, Anne Baxter avait du mal à dissimuler sa grossesse et Jane Fonda se faisait remarquer en suivant les conseils de son petit ami de l’époque, acting coach qui avait dit à la future star de ne pas porter de culotte durant ses scènes. Le fait est qu’en dehors du fameux générique de début, la première chose qui revient en tête quand on pense à La rue chaude, c’est la prestation électrique de Jane Fonda, l’actrice ayant une présence sensuelle et animale dans un rôle pourtant secondaire.

Avec ce joyeux foutoir sur le tournage, on se demande encore comment le film peut être aussi réussi. Car en dépit de ses contradictions (Laurence Harvey pour jouer un texan, Capucine en prostituée qui ne dit pas son nom), La rue chaude est une belle réussite, un récit noir sur l’amour et le désir, comment les deux peuvent se mélanger et comment l’on peut rester aveugle à la réalité des choses en passant à côté du bonheur. De fait, aucun des personnages du film ne finit avec la personne désirée. Dove est incapable de voir combien Hallie a changé et qu’il pourrait refaire sa vie avec Teresina. Jo sait ce qu’elle veut mais elle est prête à user de la violence pour l’obtenir quand Kitty, jeune et fougueuse, se fait ballotter en fonction de ses sentiments du moment. Tout dans le film sent le désespoir et pose un regard noir sur la nature humaine où il semblerait que la seule façon de ne pas être floué dans une relation soit d’aller payer les filles de La Maison de Poupées et d’en avoir pour son argent.

C’est une œuvre presque poisseuse et en tout cas un très beau film de femmes, seul Dove étant le personnage principal masculin. Si choisir Laurence Harvey pour jouer un texan demeure assez inexplicable, l’acteur s’en sort très bien, parvenant à donner à Dove une dimension tragique. Même chose pour Capucine qui écope d’un rôle difficile et pétri de contradictions, sa prestation a suffisamment d’intensité pour nous convaincre qu’elle peut être à la fois une artiste raffinée et une prostituée. Et si Jane Fonda irradie l’écran et qu’Anne Baxter apporte beaucoup de tendresse, on appréciera également de voir la géniale Barbara Stanwyck dans la peau de Jo, un rôle dont elle tire énormément de force et qu’elle apprécia interpréter, elle qui était bisexuelle et qui défend ici un personnage plus complexe qu’il n’en a l’air. Un beau casting donc, qui s’il ne s’entendait pas sur le tournage, donne naissance à un drame singulier alliant odeur de soufre et classicisme hollywoodien, objet fascinant à (re)découvrir surtout dans une copie de toute beauté.

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