Médecin de Nuit : Les trois-huit sur ordonnance…

Initialement prévu pour être en compétition au Festival de Cannes 2020 (évènement annulé pour de tristes raisons que désormais tout le monde connaît) Médecin de Nuit permet au réalisateur Elie Wajeman de nous délivrer un polar nocturne de haute tenue, magnifié par un Vincent Macaigne littéralement redécouvert ; jusqu’alors peu ou prou habitué à des rôles de personnages gentils et sans réelle force de caractère (avec entre autres choses le superbe Un monde sans femmes de Guillaume Brac, ou encore le très bon et divertissant Le sens de la fête de Toledano et Nakache…) l’acteur campe ici la figure de Mikaël, médecin de nuit tiraillé entre une vie de famille battant de l’aile et son activité professionnelle mâtinée d’illégalité et d’échanges interlopes. En 24 heures de la vie de ce médecin brûlant la chandelle par les deux bouts Elie Wajeman tire un thriller urbain fascinant, aux allures de cauchemar éveillé tenant lieu dans le nord-est parisien des laissés-pour-compte, film au rythme rondement mené par le réalisateur et magistralement incarné par un Vincent Macaigne plus sombre et ambigu que jamais…

Dès les premières images Mikaël semble constamment sous pression et comme pris entre deux feux, véritable catalyseur des enjeux habilement développés par Elie Wajeman : entre un trafic d’ordonnances de Subutex voué à accompagner de nombreux toxicomanes dans le besoin (commerce exécuté de connivence avec Dimitri, pharmacien et cousin de Mikaël interprété par un Pio Marmaï impérial en jeune chien fou irresponsable) et les exigences de son épouse et mère de ses deux enfants notre médecin de nuit titulaire a bel et bien du mal à concilier sa relation conjugale et ses affaires privées dans le même temps, situation d’autant plus délicate qu’une seconde femme – et maîtresse – vient s’ajouter à ses problèmes personnels et professionnels. De ce point de vue Sara Giraudeau (déjà remarquable dans le très beau Petit Paysan de Hubert Charuel, ndlr) s’avère non moins excellente que Vincent Macaigne et Pio Marmaï, incarnant une amante garce en diable au regard froid comme le diamant, femme jonglant entre un Dimitri désireux de lui demander sa main et un Mikaël velléitaire et plus ou moins prêt à tailler la route avec elle…

Le rythme tenu par Wajeman est imparable, ne tombant jamais dans l’essoufflement ni dans d’inutiles ruptures de ton. Éludant le superflu pour mieux nous immerger dans le quotidien nocturne de Mikaël le cinéaste parvient à nous laisser nous identifier à ce quadragénaire tout en nuançant sa psychologie d’une séquence à l’autre : à la fois mari aimant et adultère, médecin éthiquement en partie respectable mais rechignant à se plier à la déontologie du milieu Mikaël s’inscrit parmi les belles figures troubles du cinéma français de ces dix dernières années. De pratiquement toutes les scènes, au diapason du regard de Elie Wajeman Vincent Macaigne trouve là certainement son rôle le plus sombre et le plus passionnant à appréhender, homme ordinaire aux combats paradoxalement peu banals et partiellement admirables.

Si le film suit la logique d’une tragédie avec règle des trois unités à l’appui (le film dure à peine 24 heures parmi les rues tentaculaires du 19ème arrondissement parisien, avec à peine deux ou trois objectifs intimement liés que seul Mikaël peut et pourra mettre à bien) le suspense fait ici figure de véritable mot d’ordre tout en faisant corps avec les personnages superbement écrits et développés par Wajeman en amont du tournage. Un film aussi simple et sans esbroufe que scénaristiquement palpitant, disponible en DVD et Blu-Ray aux éditions Diaphana depuis le 19 octobre 2021.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*