El Chuncho : Fraternité et révolution

Non content de nous congratuler d’une superbe nouvelle édition pour Django, Carlotta Films nous fait l’honneur de ressortir El Chuncho dans une toute nouvelle restauration flamboyante. Western spaghetti parmi les plus respectés dans le genre, El Chuncho a lancé le sous-genre dit « zapatiste ». Ce sont des westerns européens dans lesquels nous assistons à une certaine radicalisation des bandits qui, confrontés à l’injustice, se muent en révolutionnaires. Ces westerns se montraient sans concession avec la violence et partaient du principe qu’un peuple qui souffre est un peuple qui se doit de verser le sang de leurs bourreaux. El Chuncho nous immisce au cœur d’une bande de renégats mexicains qui font couler le sang par amour pour ceux qui souffrent ou ont souffert pour leur liberté. C’est le moment de revêtir votre plus beau sombrero, El Chuncho est un film qui risque fort de vous marquer éternellement.

Au Mexique, Chuncho, à mi-chemin entre le bandit et le rebelle révolutionnaire, attaque avec ses troupes un train de l’armée régulière dans lequel voyage un jeune dandy américain. Ce dernier prête main-forte aux hors-la-loi durant l’assaut. Le yankee se joint aux guérilleros et se lie d’amitié avec Chuncho. Leur intention sera de vendre les armes aux révolutionnaires du général Elias. Mais les apparences sont parfois trompeuses.

Réalisé par Damiano Damiani (Amityville 2, Un Génie, Deux Associés, Une Cloche), El Chuncho est probablement le meilleur film de sa filmographie. Gestion d’un rythme trépidant étiré sur deux heures intenses, cadres somptueux et mise en scène astucieuse. Tous les ingrédients du western sont maniés avec amour, il est impossible de ne pas y succomber. Pourtant, dans la culture populaire, l’histoire a surtout retenu le nom de Sergio Leone. S’il est fort probable que nos aïeux lui aient donné sa chance lors de sa sortie dans nos salles en 1968, El Chuncho n’a jamais vraiment jouit d’une visibilité certaine autant lors des après-midi westerns à la télévision qu’en vidéo; en dépit du fait qu’il ait indubitablement marqué bon nombre de générations qui n’ont eu de cesse de le citer (il y a fort à parier que toute la partie au Mexique dans Red Dead Redemption doive beaucoup à El Chuncho). Nous nous souvenons du coffret DVD parut chez Wild Side dans sa collection des Incontournables sorti en 2004 (en double coffret avec Keoma, sacré western d’Enzo G. Castellari avec Franco Nero à (re)découvrir impérativement) qui nous avait fait découvrir ce western virevoltant. Depuis, nous n’avons eu de cesse de chérir ce coffret (désormais épuisé) pour lequel certains de nos contacts étaient prêts à payer le prix fort pour nous l’arracher de notre collection. Grâce à Carlotta Films, qui ressortent le film, l’espoir de lui redorer son blason est revenu de plus belle. Au-delà des aspects techniques fort bien traités, que possède donc El Chuncho de si particulier ? Nous pensons qu’il peut être une jolie porte d’entrée pour quiconque veut s’intéresser à cette période du western européen. Si, dans notre cœur, nous serons toujours de fervents défenseurs et amoureux des films de Sergio Corbucci (Django et Le Grand Silence figurent parmi nos westerns préférés au monde), nous sommes conscients du caractère élitiste du genre qui possède beaucoup de réfractaires. C’est un genre très codifié (surtout le western européen) qui ne plaît pas aux plus grands nombres de spectateurs. Une fois encore, la pop-culture n’a gardé en mémoire que le cinéma du grand Sergio Leone et, pour beaucoup, son nom demeure le seul cité lorsque l’on évoque le western italien. El Chuncho possède une histoire suffisamment forte pour transcender le genre. En effet, le scénario pourrait être retranscrit au cœur d’une époque plus moderne que cela fonctionnerait tout autant. Voilà pourquoi il nous semble être une belle porte d’entrée dans le genre. Par-delà l’époque traitée, El Chuncho est un film qui parle de lutte des classes, de quête de liberté, de foi, d’amour et d’amitié. Plus que pour beaucoup de westerns, ses thématiques peuvent toucher n’importe quel quidam voulant s’ouvrir à un cinéma plus riche qu’il n’y paraît.

La force du film tient dans son casting absolument exceptionnel. Porté en état de grâce par Gian Maria Volonté (immense acteur aperçu dans de grands films comme Pour Une Poignée de Dollars, Enquête Sur un Citoyen Au-Dessus de Tout Soupçon ou encore Le Cercle Rouge), El Chuncho est indissociable de son acteur. L’acteur offre à son personnage tout un spectre de jeu qui le rend à la fois complexe et fascinant à analyser. Balancé entre ses idées révolutionnaires, sa soif de gloire et son amitié naissante avec Bill, Chuncho se pose en tant que figure quasi-christique au cœur de son entourage. Il est le sauveur, le bienfaiteur, l’amant, l’ami, le frère… Il est profondément altruiste. Tout autant héros qu’anti-héros, il confère tout un panel de sentiments chez le spectateur, ce qui le rend fascinant à décortiquer, mais également facilement identifiable autant chez un spécialiste du genre que chez un néophyte. De plus, ce qui fait briller son aura réside autour du casting que Damiani vient lui greffer, Klaus Kinski en tête. Le célèbre acteur allemand campe le frère de Chuncho, un prêtre illuminé qui transpose sa foi au service de la loi du Talion. Aussi respectueux qu’il est sévère avec ses ennemis, El Santo s’apparente à la petite voix consciente qui vient souffler la bonne parole aux oreilles de Chuncho. Pourtant, même s’il possède une noirceur indéniable, Santo transpire la naïveté et la bonté. Fait étonnant que de voir Kinski émouvoir autrement que par une folie dure dont lui seul en avait le secret. Il est la sagesse incarnée, la voix de la raison qui ramène Chuncho dans le droit chemin chaque fois qu’il semble vaciller. La dureté et la voix de la violence, celle qui fait basculer Chuncho dans l’horreur, sont campées par Lou Castel. Ce dernier, par l’image de dandy civilisé qui s’immisce au cœur des renégats, représente tout ce que Chuncho tente de combattre. Bill est la tentation, Bill est la voix du mal. Pourtant, Chuncho, plus que de céder à une quelconque tentation, aimera Bill comme un frère et ne saura jamais vraiment comment situer ses actions auprès de lui. El Chuncho place ainsi ses enjeux au cœur d’une (non) Sainte Trinité pour étoffer son histoire. Voilà ce que le film de Damiani va chercher : une quête fraternelle et spirituelle qui transcende les codes du western. Rajoutez à cela la musique envoûtante de Luis Bacalov (sous la supervision d’Ennio Morricone), et vous aurez une petite idée des qualités du film de Damiano Damiani.

Si l’on met à part la parfaite filmographie de Sergio Leone pour ne comparer que les projets faits à côté, El Chuncho est l’un des meilleurs westerns spaghettis jamais tournés. Carlotta Films nous livre une galette somptueuse dans un tout nouveau master restauré. On en prend clairement plein les mirettes, les couleurs rendent justice au travail de Damiani. De plus, le film est proposé dans sa version intégrale qui rajoute beaucoup plus de nuances aux personnages. Ce fut une redécouverte totale pour un film qui mériterait, enfin, plus de reconnaissance.

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