Au Coeur du Bois : « Un Loisir pour les parisiens »

Après une comédie typique française en 2007, Affaire de Famille avec André Dussolier et Miou-Miou, Claus Drexel s’est révélé avec son documentaire Au Bord du Monde, film bouleversant suivant une poignée de sans-abris au cœur de Paris l’hiver dans des recoins insoutenables de la capitale. Programmé à l’ACID puis nommé au Prix Louis-Delluc, le long-métrage a permis l’éclosion d’un documentariste singulier prenant du recul face à ses intervenants s’effaçant totalement du processus pour capturer des instants et capter une parole.
Dans la veine d’Au Bord du Monde, le réalisateur d’origine allemande revient avec Au Coeur du Bois, nouveau documentaire se posant au cœur du Bois de Boulogne pour laisser la parole aux prostituées/transgenres qui peuplent cet endroit mythique et majestueux de Paris.

Après Au Bord du Monde, Claus Drexel est parti prendre le pouls des États-Unis, plus précisément en Arizona pendant les élections américaines en 2016 avec son troisième film, America. La rencontre avec une ville de moins de 500 habitants désabusés par la situation sachant d’avance que rien ne changera pour eux. De nouveau salué par la critique, Claus Drexel revient ensuite en France pour une fiction cette fois-ci en compagnie de Catherine Frot en tête d’affiche Sous les étoiles de Paris incarnant une sans-abri perdue dans ses remords qui va aider un jeune migrant à retrouver sa mère en plein hiver à Paris. Sous l’influence de Charles Dickens, Drexel peint de nouveau le portrait d’une femme au bord du monde au cœur d’un Paris féérique où les étoiles brillent et où l’espoir renaît le temps de péripéties tendres. La rencontre Catherine Frot/Claus Drexel fait des merveilles pour une proposition de cinéma qui connaîtra les déboires du COVID-19 et une exploitation chaotique. On ne peut que de vous conseiller de rattraper ce merveilleux conte disponible en vidéo en attendant de découvrir au cinéma le 8 décembre prochain, Au Coeur du Bois.

Bienvenue au Bois de Boulogne, lieu d’évasion pour les Parisiens et les banlieusards venant prendre l’air en famille ou prendre du plaisir en cachette et protégé avec les prostituées ayant élu domicile sur les trottoirs ou dans les camionnettes jonchant les abords de ce Central Park français. Un lieu fameux où la prostitution est courante depuis quarante ans, d’abord les femmes puis au fil du temps les transgenres que Claus Drexel vient rencontrer. Il reste aujourd’hui les vieilles de la vieille qui prennent malgré tout la parole dans ce documentaire dans la lignée d’Au Bord du Monde. À la différence près que le réalisateur s’immisce un peu plus dans la parole et les échanges avec les protagonistes. On sent cette fois-ci la présence d’une caméra captant la parole, le film étant une suite  d’entretien revenant sur le parcours des différents intervenants en parallèle de l’histoire du bois. Ainsi, les anciennes prostituées gardant leurs places en dépit de leurs âges narrent les années folles entre 1970 et 1980 d’un lieu réputé où l’argent coulait à flots pour des salaires mirobolants. La bonne époque d’un Paris libre et fou avant l’arrivée du SIDA et la décrépitude d’une société qui se corsète sous les différents gouvernements. Bizarrement, la liberté est revenue sous Pasqua en tant que Ministre de l’Intérieur. Mais les belles années sont passées, puis le Bois s’est vidé progressivement laissant une flore éparse de résistantes. Elles prennent la parole dans ce film touchant produit sur cinq années où chacune revient sur son parcours entre les différents pays européens, leur envie d’être femme et de plaire. Elles et ils viennent de partout entre le Portugal ou les pays d’Amérique du Sud où leurs différences ne sont bien sûr pas acceptées. Alors elles arrivent à Paris sans papiers, ni le moindre sou venant garnir le bois de Boulogne gagner leur place pour gagner leur vie. Pas le moindre statut n’est reconnu par l’état français pour ses femmes esseulées et courageuses outre le métier de «Prostituée» sur les fiches d’impôt. Mais tout le reste est à leur charge comme l’assurance maladie passant leur vie dans des hôtels minables à 60€ la nuit n’ayant pas accès aux logements sociaux malgré le fait de payer leurs impôts pour les prostituées françaises. 

Le film conte la parole de ses personnages fascinants, tristes et hors du commun par leur courage d’assumer leur identité face à la société d’aujourd’hui. Un combat historique pour des trajectoires brisées pour certains, enfants persécutés et abusés, jeune homme arrivant de la ZAD de Nantes par amour finissant travesti pour gagner temporairement sa vie. Les histoires vont ainsi au Bois entre amours et faits divers avec un serial killer pour une rencontre exceptionnelle masquée et payée (voire gênante) pour le réalisateur. Mais l’histoire vaut le coût pimentant au cœur d’une Twingo un long-métrage passionnant enchaînant les rencontres et les anecdotes. Il y a surtout Isidro qui squatte le Bois depuis des années, retraité se travestissant toujours pour le plaisir, assumant sa position et ses fantasmes depuis son arrivée jeune à Paris. Il a tout connu au Bois de Boulogne et s’en amuse toujours pour son simple plaisir d’être une femme. Il reste un homme, mais prône son hobby de devenir femme, se sentir femme et être considéré comme telle. Personnage attachant et farfelu, il égaye un nouveau coup de maître de Claus Drexel, qui par ses différentes peintures, immortalise ses personnages au cœur d’un microcosme historique.

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