Le Cercle Rouge : « Les hommes viennent au monde innocents mais ça ne dure pas »

Bénéficiant d’une ressortie en salles sous la houlette de Carlotta Films dans une superbe copie 4K, Le Cercle Rouge mérite certainement que l’on s’attarde de nouveau dessus. Classique du polar français, chef-d’œuvre à ranger aux côtés du Deuxième Souffle et du Samouraï, Le Cercle Rouge est l’avant-dernier film de Jean-Pierre Melville mais il est certainement le plus représentatif de son style, atteignant ici son apothéose. S’ouvrant sur une citation de Bouddha donnant son titre au film ( »Quand les hommes, même s’ils s’ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d’entre eux, et ils peuvent suivre des chemins divergents ; au jour dit, inexorablement, ils seront réunis dans le cercle rouge. »), voilà une œuvre glaçante à la mécanique implacable.

Mettant en application la citation ouvrant le film, Le Cercle Rouge nous fait suivre la trajectoire de quatre personnages différents qui finiront par se retrouver dans de tragiques circonstances. Il y a Corey, tout juste sorti de prison ; Vogel, criminel en fuite ; Jansen, ancien policier hanté par ses démons et il y a le commissaire Mattei, traquant Vogel. Quand les trois premiers hommes vont s’embarquer dans un casse, ils se mettront forcément à dos Mattei, policier tenace.

Jouant avant tout sur des archétypes du genre, genre qu’il travaille ici jusqu’à l’épure, Melville ne s’encombre guère de psychologie fouillée. Pas besoin d’une masse de dialogues non plus, seulement le strict minimum, histoire de souligner la nature de ses personnages, occupant plus une fonction qu’endossant une véritable épaisseur psychologique. En même temps, pas besoin d’en faire trop quand on filme des gueules comme Alain Delon, Bourvil, Gian Maria Volonté et Yves Montand, il n’y a qu’à laisser leur charisme naturel s’exprimer. La précision froide de la mise en scène et le souci des détails de Melville feront le reste. En quelques plans et un seul costume, les personnages sont dessinés avec concision. Des détails sur leurs vies seront disséminés çà et là (Corey a aimé une femme, Jansen est alcoolique, Mattei vit seul avec ses chats) mais les détails qui intéressent Melville sont autres : ainsi la scène de cambriolage est un véritable morceau de bravoure, leçon de mise en scène d’une épure absolue. D’une durée de 25 minutes sans dialogues, il faudra seulement compter sur le souci de réalisme du scénario et sur la mise en scène pour être totalement embarqué dedans, signe de la toute-puissance d’un cinéaste au sommet de son art.

Le seul reproche que l’on pourra faire au film concerne sa fin, où tout se précipite brutalement. La séquence a beau illustrer le propos de son auteur, elle n’en arrive pas moins comme un cheveu sur la soupe, expédiant en quelques minutes une histoire qui avait pris son temps pour se mettre en place et qui aurait certainement pu encore prendre un peu de temps avant de se terminer. Mais ne nions pas l’immense qualité de l’ensemble, se hissant facilement au rang de classique du genre (rarement celui-ci aura autant été épuré, débarrassé de toute afféterie), nous plongeant dans un univers froid et impersonnel (la photographie est d’une triste grisaille) où tous les hommes qui y naissent innocents finissent vite par devenir coupables, corrompus par le monde qui les entoure, les personnages évoluant d’ailleurs dans le récit comme des fantômes, sans passion, comme s’ils étaient déjà au fait de leur destin tragique.

Déprimant et glacial, Le Cercle Rouge a également atteint son statut de film culte grâce à son casting. Outre le charisme fou d’Alain Delon (à cette époque, il suffit de braquer la caméra sur lui pour happer le regard et il porte divinement bien la moustache) et de Gian Maria Volonté et la prestation torturée d’Yves Montand, c’est Bourvil qui retient une bonne partie de l’attention. Ne serait-ce que parce qu’il s’agit là de l’avant-dernier film qu’il ait tourné (alors déjà atteint de la maladie de Kahler) mais surtout parce qu’il y tient un rôle dramatique, loin des personnages un peu niais et joyeux qui ont fait sa célébrité. Si l’on avait déjà pu voir l’immense talent de Bourvil auparavant (notamment dans la version des Misérables de Jean-Paul Le Chanois où il incarnait un Thénardier tout à fait mesquin), il ne fait nul doute que sa prestation dans Le Cercle Rouge est la plus sombre de sa carrière, contribuant ainsi à la renommée d’un film dont l’influence s’étend encore aujourd’hui sur de nombreux cinéastes.

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