
De Emmanuelle Bercot nous connaissions la figure de comédienne empreinte d’aspérités émotionnelles entièrement efficaces, notamment lorsque cette dernière était dirigée de main de maîtresse par Maïwenn dans le percutant Polisse et l’excellent Mon Roi. Nous avions également pu découvrir assez récemment deux de ses réalisations allant du tout à fait honorable (La tête haute, psychodrame visiblement fidèle à la réalité des foyers sociaux destinés aux jeunes délinquants, mais un peu trop fort de café concernant sa figure principale peu défendable) à la pire des catastrophes (La fille de Brest, film proprement outré et littéralement tarte à suivre et à regarder, qui partait néanmoins d’un sujet fort ouvrant le champ des possibles pour le grand écran…), deux films partageant in fine une véritable envie de vouloir bien faire et de coller à leur matériau de base ; autant dire que nous n’attendions pas grand-chose d’exceptionnel de la part de la metteuse en scène avec son dernier long métrage sobrement intitulé De son vivant, appréhendant une fois encore une mise en forme plate et pas forcément séduisante à la rétine embarrassée d’un sujet costaud mais lourd, pour ne pas dire indigeste…

Qu’en est-il alors de cette découverte, qui sera visible dans nos salles obscures à partir de ce mercredi 24 novembre ? Rien de moins qu’un choc émotionnel absolu, drame intimiste ne payant à priori pas de mine car effectivement encore une fois assez banalement filmé, monté et éclairé par la réalisatrice et son équipe, mais étonnamment sublimé par un Benoît Magimel que Emmanuelle Bercot retrouve à nouveau après La tête haute et La fille de Brest… Si l’emballage formel témoigne une fois encore de grosses maladresses (musiques tantôt étrange, tantôt mal utilisées ; réalisation fonctionnelle et découpage technique laissant encore à désirer…) la puissance du propos et de l’interprétation mérite à elle-seule le visionnage d’un film laissant résolument notre coeur sur le carreau. Et pour preuve : De son vivant raconte stricto sensu l’inexorable fin de vie du jeune Benjamin Boltanski, professeur de théâtre d’une quarantaine d’années que nous découvrons lors d’une scène d’ouverture dans l’intimité d’un hôpital à l’apprise de son cancer du pancréas, que l’on devine rapidement aussi incurable que foudroyant et par essence totalement injuste, car sans logiques internes.

Ainsi le film nous épargne dès ses premières minutes un suspense qui ne sera d’ailleurs jamais revendiqué par Emmanuelle Bercot, montrant un Benjamin cherchant à faire le ménage d’une existence peu reluisante de son triste avis de comédien raté, existence qu’il semble avoir traversé sans prises de risque, ni projets ni accomplissements dûment satisfaisants. Renouer avec ses proches, apprendre à pardonner et à se faire pardonner, « ranger le bureau » avant de partir pour de bon : tels sont et seront les seules possibilités concrètes de Benjamin depuis l’annonce du malheureux évènement jusqu’à son dernier souffle, maigre espoir de réconciliation avec la vie, avec ceux qu’il aime et avec ceux qui l’aiment ou l’ont aimé, et surtout avec lui-même. Au gré des saisons (douze mois à peine, allant de l’été jusqu’au prochain – et dernier – printemps) Benjamin va donc passer par toutes les phases du deuil, de l’incompréhension à la colère en passant par l’acceptation, avant de passer de vie à trépas avec pour seul désir de laisser une trace, quel qu’elle soit.

Si les seconds rôles tiennent correctement mais parfois irrégulièrement la route (le personnage du Docteur Eddé incarné par Gabriel Sara semble toutefois un peu trop beau, un peu trop bon et gentiment samaritain pour être vrai ; Catherine Deneuve se contente quant à elle de faire le service minimum aux côtés d’une Cécile de France au rôle survolé par Bercot) Magimel est exceptionnel, sachant se montrer tour à tour lumineux et ravagé, l’oeil scrutateur et la voix fatiguée pour mieux nous inspirer une empathie dévastatrice au regard de ce type n’étant pour sa personne allé nulle part, et qui pensera finir aussi insignifiant qu’il n’a commencé. Lorgnant davantage du côté mélodramatique du Temps qui Reste que du comique un tantinet gras voire indécent de Tout s’est bien passé, De son vivant pourrait-être un film réalisé sous l’influence du cinéma de François Ozon, avec un aspect volontairement plombant mais sans tricheries – ou presque. Bouleversant.
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