Journaliste et scénariste, Audrey Diwan était passée à la réalisation en 2019 avec Mais vous êtes fous, récit d’une famille dévorée par l’addiction, film prenant mais parfois encombré de maladresses qui ne laissait pas forcément présager combien la jeune cinéaste allait passer à la vitesse supérieure avec L’événement. Adapté du roman autobiographique de Annie Ernaux (dont on a déjà pu voir un peu plus tôt cette année l’adaptation de Passion simple) et auréolé du Lion d’or à la prestigieuse Mostra de Venise où la compétition était de haut vol, L’événement est donc devenu très rapidement un film en vue, précédé d’une réputation flatteuse s’avérant tout à fait méritée.
C’est en effet un véritable coup de poing que livre Audrey Diwan, visiblement très inspirée par son sujet : celui d’Anne, une jeune étudiante en lettres qui, tombant enceinte dans la France de 1963, et refusant de se laisser emprisonner dans sa vie par une grossesse non désirée, décide d’avorter coûte que coûte. Quatre ans avant la législation de la pilule contraceptive et douze ans avant la loi Veil, un tel acte est illégal et passible de prison. Pour ne pas se confronter au regard des autres, de ses parents, de ses professeurs et de ses amies, Anne entre en clandestinité, cachant sa grossesse et son envie d’avorter pour ne pas être dénoncée : elle va devoir se débrouiller seule quitte à prendre tous les risques…
De cette histoire simple mais forte, rappelant l’invraisemblable combat qu’il a fallu mener pour un droit aussi simple que celui à l’avortement, Audrey Diwan va aller à l’essentiel et coller en permanence à sa jeune héroïne, incarnée avec une incroyable puissance de jeu par la fabuleuse Anamaria Vartolomei, actrice de 22 ans menant sa carrière depuis dix ans déjà, trouvant là un rôle à la mesure d’un jeune talent que l’on découvre médusés. De quasiment tous les plans, enfermée dans un cadre au format 4:3 nous forçant à tout ressentir avec elle, l’actrice s’impose dans un rôle complexe fait d’une multitude de nuances. Des nuances que Diwan capte parfaitement, n’hésitant pas à faire durer ses plans pour laisser à son actrice l’occasion d’exister dans son environnement où elle est sans cesse renvoyée à son état que personne ne connaît sauf nous, spectateurs qui craignons qu’à tout moment elle soit découverte. En ne nous épargnant rien (impossible de ne pas être crispé face à la scène d’avortement, s’installant dans la durée en toute sobriété) et sans pour autant verser dans le sordide et le voyeurisme, L’événement entend retranscrire tout ce que traverse et tout ce que ressent Anne sans jamais lâcher son point de vue.
S’offre alors à nous un film anxiogène où la menace d’être découverte et celle de rater ses études couvent. Sur le papier, le film n’a pourtant rien d’un suspense mais il s’avère étonnamment plus tendu que bien des thrillers tout en esquissant le portrait d’une jeune femme pétrie de courage, refusant de se laisser enfermer dans un cadre social et une vie déjà toute tracée si elle garde son enfant. La force du personnage est d’ailleurs d’ignorer son propre courage : jamais elle n’en fait étalage. Pour elle, aller au bout de sa décision et avorter relève d’une question de survie, d’une manière de s’accomplir pour poursuivre ses études et devenir une femme de lettres, elle ne s’autorise pas à penser qu’elle est courageuse, elle défie pourtant toutes les conventions sociales d’une époque encore rigide et profondément patriarcale où même les médecins ne sont pas forcément des alliés et où même ses amies peuvent la rejeter sans essayer de la comprendre. Ce portrait, offrant un moment intense de cinéma venant transcender le livre original est aussi vibrant qu’indispensable et Audrey Diwan réalise là une prouesse, livrer un grand film là où on ne l’attendait pas, en étant en fusion totale avec son sujet. Une telle réussite est rare, espérons qu’elle se reproduise.
2 Rétroliens / Pings