Queimada : Leçons de colonialisme occidental

On connaît Marlon Brando pour son immense carrière et ses rôles cultes chez Elia Kazan ou Francis Ford Coppola pour ne citer qu’eux. Mais de cette large filmographie, quel était le film préféré de l’acteur ? Et bien il s’agit de Queimada, film seulement connu par une poignée de cinéphiles que Rimini Editions entend remettre sur le devant de la scène en sortant en Blu-ray une édition complète contenant deux versions du film (notre préférence allant à la plus longue, plus proche de la vision de Gillo Pontecorvo), disponible depuis le 21 septembre dernier.

Mais qu’est-ce donc que ce film ? C’est l’histoire d’une rencontre, celle du réalisateur très engagé à gauche Gillo Pontecorvo qui sort du succès de La bataille d’Alger (qui fut notamment censuré en France jusqu’en 2004) avec Marlon Brando, acteur monstre, dont le comportement houleux sur les tournages est de notoriété publique, mais qui rejoint les idées de Pontecorvo. Queimada est ainsi un pamphlet politique sur les méfaits du colonialisme que le cinéaste dénonce avec vigueur, sans jamais céder à la facilité. Le film, se déroulant au début du XIXème siècle, s’impose ainsi comme une étude précise des mécanismes du colonialisme, de la façon dont les habitants et gouvernements locaux sont manipulés par les grandes puissances afin qu’elles continuent de s’enrichir sur le dos des esclaves. Queimada se déroule sur une île fictive des Antilles aux mains des Portugais. William Walker, agent au service de l’Angleterre y débarque pour aider les esclaves à fomenter une révolte. Derrière ce but d’apparence noble – aider les opprimés à se débarrasser des oppresseurs – Walker entend donner à son pays l’avantage politique et économique sur l’île en lui donnant un nouveau gouvernement. Et au gré des différentes situations, Walker aide soit le gouvernement mis en place soit les esclaves voulant se révolter, tous les moyens étant bons pour qu’au final l’Angleterre s’enrichisse…

Aidé par son compère Franco Solinas (également collaborateur de Costa-Gavras et Joseph Losey) et par Giorgio Arlorio au scénario, Gillo Pontecorvo décortique avec précision la façon dont le colonialisme et l’impérialisme occidental étendent leurs griffes et s’assurent une prospérité économique régulière en recourant à tous les coups bas : révoltes, assassinats, vols, manipulations et trahisons sont fréquentes et les opprimés d’hier devenus membres du gouvernement pourraient bien être les parias de demain et ce au gré de ce qui arrange le pays colonisateur. Cette analyse précise et surtout intelligente se montre certes didactique, mais jamais au détriment du cinéma qui occupe une place importante chez Pontecorvo, sa mise en scène se montrant rigoureuse et parcourue de belles idées et ce, dès le générique d’ouverture (sur un superbe morceau du maestro Ennio Morricone).

La leçon de politique, d’humanisme et d’économie est donc totalement digeste surtout qu’elle est transmise par un Marlon Brando inspiré par son rôle. Si l’acteur et Pontecorvo ont entretenu une relation difficile durant le tournage, force est de constater que Brando ne mentait pas en considérant son rôle comme son meilleur : on peut certes préférer ses prestations plus iconiques, mais la façon dont il donne vie à cet agent du chaos manipulateur, mais pas totalement dénué d’humanité en presque rien (un regard, un changement fugace d’expression) force l’admiration. Face à ce monstre sacré, on remarque Evaristo Márquez dans le rôle de Jose Dolores, esclave catapulté chef de la révolte selon le bon vouloir de Walker. Débutant alors au cinéma et n’ayant apparemment vu aucun film de sa vie au moment du tournage, Evaristo Márquez s’impose sans problème face à Brando, avec un charisme naturel, jamais écrasé par son partenaire qui, selon les propres dires de Márquez, le considérait comme ‘’un frère’’.

Ce face à face étonnant entre deux acteurs – l’un déjà monstre sacré, l’autre débutant – fait partie d’une des réussites indéniables du film qui réussit le tour de force d’être une grande œuvre politique, captivante par ses acteurs et son écriture subtile, dressant le portrait finalement toujours actuel de pays prêts à en exploiter d’autres pour s’enrichir, triste constat d’une humanité quasiment incapable de s’entraider, préférant multiplier les cadavres que les accolades de camaraderie. Un grand film assurément, à (re)découvrir ici dans toute sa splendeur.

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