Le peuple loup : De la magie à l’écran

Dans le monde de l’animation actuel, à l’heure où les gros studios américains ont tendance à monopoliser toute l’attention du public, il faut souvent aller chercher ailleurs. On peut rapidement y découvrir que l’animation ne résume pas à Disney / Pixar / Dreamworks et qu’un peu partout dans le monde se trouvent des réalisateurs avec un univers et une vision à défendre. C’est le cas de Tomm Moore qui, dès sa première réalisation (Brendan et le secret de Kells), chapeauté par son propre studio d’animation Cartoon Saloon a su se créer un style visuel reconnaissable entre mille et des thématiques qui le sont tout autant, Moore étant attaché au folklore celtique et plus particulièrement celui de sa terre natale, l’Irlande. Après avoir réalisé Le chant de la mer en 2014 et produit Parvana en 2017, le voilà qui revient avec Le peuple loup, confirmant l’amour du cinéaste pour l’Irlande et ses mythes tout en développant son sens du récit, qui n’a jamais été aussi dense.

Nous sommes en 1650 à Kilkenny. Venu s’installer en ville suite à la mort de sa femme avec sa fille Robyn, Bill Goodfellowe est chargé par le Lord-Protecteur local d’exterminer une meute de loups vivant dans la forêt des environs et empêchant les bûcherons d’abattre celle-ci pour en faire des champs. Robyn, qui souhaite aider son père dans sa tâche, s’aventure dans la forêt et rencontre Mebh, jeune fille sauvage qui la mord et qui s’avère être une  »wolfwalker », un être humain qui, lorsqu’il s’endort, voit son esprit se changer en loup pour arpenter la forêt. Robyn avertit Mebh du danger menaçant la forêt mais celle-ci refuse de quitter les lieux tant que sa mère, partie à la recherche d’un nouveau foyer, n’est pas revenue. Robyn promet à Mebh de l’aider à retrouver sa mère mais Bill, inquiet et n’écoutant pas les explications de sa fille, la force à aller travailler dans les cuisines du château, ignorant que c’est au sein de la demeure du Lord-Protecteur que se trouve la mère de Mebh et que Robyn, via la morsure de Mebh, est désormais une  »wolfwalker »…

Alors que l’on pouvait éventuellement reprocher à Brendan et le secret de Kells un manque d’enjeux forts et au Chant de la mer la simplicité de sa ligne narrative (quand bien même les deux films sont superbes), Le peuple loup offre un récit certes simple dans ses grandes lignes (il s’agit pour Robyn de s’affirmer face à son père et d’acquérir son indépendance via la quête qu’elle s’est fixée) mais dont la densité des thématiques, sans avoir peur d’une certaine noirceur, est d’une richesse particulièrement appréciable. En effet, le film ne se concentre pas seulement sur Robyn. À travers ses personnages secondaires, Le peuple loup distille tranquillement son propos. Comme Robyn, Mebh est une jeune fille qui devra apprendre à se détacher de sa figure maternelle pour évoluer et s’affirmer tandis que Bill (doublé par notre Sean Bean bien-aimé en version originale) est un personnage de père particulièrement émouvant, tellement paralysé par la peur de perdre sa fille qu’il ne l’écoute pas et la place dans un carcan rassurant à ses yeux. Et si le Lord-Protecteur a quelques faux airs du gouverneur Ratcliffe de Pocahontas, son personnage de fanatique religieux persuadé qu’il faut détruire ce qu’on ne peut pas dompter permet au film de dérouler son message de tolérance et d’écologie avec intelligence, sans sortir des sentiers battus mais sans prendre son jeune public pour un imbécile.

D’ailleurs, Le peuple loup réserve quelques moments de violence assez étonnants, le film n’ayant pas peur de se montrer parfois très noir tout en jouant avec nos émotions. Ainsi, adulte ou enfant, chacun aura de quoi trouver son lot de sensations fortes devant ce récit qui a le mérite de développer ses points de vue et d’offrir suffisamment de péripéties pour renouveler ses enjeux avec intelligence. Mais le point fort du film reste évidemment sa splendeur visuelle. Avec Tomm Moore aux commandes (ici aidé par Ross Stewart à la réalisation), la beauté de l’animation était attendue sans aucune inquiétude, le style du réalisateur ayant toujours magnifiquement épousé la magie de ses récits.

Ici, Moore est à son sommet, multipliant les idées (la vision subjective du « wolfwalker », avec ses traits colorés) et les explosions de couleurs (dorées dans la forêts, rouges quand le Lord-Protecteur devient menaçant) jusqu’à frôler l’abstraction dans ce qui s’avère être un tour de force stylistique, en alchimie totale avec les émotions véhiculées par le scénario. Cette fusion parfaite du fond et de la forme (avec toujours la magnifique musique de Bruno Coulais et de Kila pour nous coller encore plus de frissons), déjà bien visible dans les précédents travaux de Moore, trouve ici son apothéose et confirme la belle progression stylistique et narrative du réalisateur, capable de nous enchanter en une poignée de séquences, sans jamais donner l’impression de faire comme les autres (aidé en cela par son approche d’un folklore peu connu chez nous). Son travail foncièrement singulier s’avère être une poésie de chaque instant et c’est avec une grande impatience que l’on attend son prochain film, pour voir quelles merveilles vont encore sortir de son esprit et nous permettre de fuir la triste grisaille de notre monde.

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