Contes cruels de la jeunesse : La douleur de s’aimer

Ayant déjà beaucoup travaillé sur le cinéma de Nagisa Oshima par le passé (on leur doit un coffret assez conséquent sorti en 2015), Carlotta Films continue l’exploration du travail du cinéaste en proposant en Blu-ray et DVD Contes cruels de la jeunesse, disponible depuis le 25 août dernier. Ici présenté pour la première fois en Blu-ray et dans une nouvelle restauration 4K de toute beauté, le film se découvre dans toute sa puissance, cri de révolte et de désespoir d’une jeunesse japonaise en perdition.

C’est seulement le deuxième long-métrage de Nagisa Oshima et déjà tout son cinéma est présent dans Contes cruels de la jeunesse, film représentatif de la Nouvelle Vague japonaise, venant souffler un vent de contestation contre le classicisme et les représentations du cinéma japonais classique. Nagisa Oshima fait partie, avec Shohei Imamura, de ces cinéastes qui aiment secouer le cocotier et montrer au public une réalité sociale plus en lien avec leur époque. D’où ce portrait effectué ici par Oshima, celui de Makoto et de Kiyoshi, affichant l’intérêt du cinéaste pour la jeunesse d’après-guerre, ne nous épargnant rien de la violence et de l’érotisme de leurs relations. Usant de son charme pour se faire raccompagner par des hommes lors de ses sorties nocturnes, Makoto rencontre Kiyoshi, étudiant contestataire et délinquant qui la sauve d’une agression sexuelle. Les deux jeunes gens tombent amoureux et entament une relation houleuse, faite d’arnaques, de chantage et de masochisme, Kiyoshi étant loin d’être tendre avec Makoto…

On a dit du film qu’il était La fureur de vivre made in Japan. La comparaison est loin d’être anodine tant Contes cruels de la jeunesse se situe effectivement dans la même démarche que celui de Nicholas Ray : peindre une jeunesse désespérée, rejetant le modèle familial et social de leurs parents (qui ne comprennent d’ailleurs plus leur progéniture, se contentant de les laisser faire sans savoir communiquer) sans pour autant savoir vers quoi tourner leur avenir. Tous les horizons sont bouchés et cette jeunesse semble incapable d’aimer et de tracer sa trajectoire sans violence, démunie face à la réalité d’un monde qui n’a finalement pas de place pour elle. Critique acerbe de la société rigide du Japon et portrait sans fard de toute la sexualité et la violence animant ses personnages, Contes cruels de la jeunesse doit sa réussite à son étonnante acuité, le film apparaissant comme étant tragiquement d’actualité tant les adolescents d’aujourd’hui (comme on a pu le voir dans l’excellente série Euphoria) sont finalement toujours travaillés par les mêmes angoisses, les mêmes pulsions et les mêmes désirs et ce malgré l’énorme évolution de la société depuis les années 60.

C’est donc une fable intemporelle que livre ici Oshima, déjà en pleine possession de ses moyens, utilisant la couleur pour exacerber les émotions de ses personnages, recourant aux plans-séquence et aux gros plans avec une habileté qui frappe fort, sans jamais donner l’impression d’en faire trop mais en sachant faire de chacune de ses séquences un moment qui marque aussi bien par sa force visuelle que par la violence de ce qu’elle raconte, bien aidé par deux acteurs à fleur de peau (les excellents Yusuke Kawazu et Miyuki Kuwano). Odyssée tragique, histoire d’amour brutale et fulgurante, chronique sociale engagée, Contes cruels de la jeunesse est tout ceci à la fois, œuvre dense et complète à découvrir sans hésiter.

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