Henry, Portrait d’un Serial Killer : Chronique d’une routine meurtrière

Il y a des films qui font peur par la posture et la réputation qu’ils se traînent. Des films dont la simple évocation du titre nous ramène directement à des souvenirs bien précis, et surtout celui de cette petite étagère de vidéo-club pleine de poussière de laquelle on n’osait pas sortir les VHS. Henry : Portrait d’un Serial Killer a longtemps été un film, tels deux aimants positifs, qui nous a fait fuir à toute berzingue tant la simple vision de sa jaquette nous pétrifiait. Les années passants, nous avons toujours essayé d’y venir dès lors qu’un papier ou une critique vidéo mentionnait son aura culte. Il aura fallu que Carlotta Films prennent les devants et nous gratifient d’une très belle édition steelbook limitée présentant le film dans une nouvelle restauration 4K pour que nous sautions enfin le pas. Cette critique sera donc vierge de multiples visionnages et notre avis au travers ce papier arrive plusieurs jours après notre découverte tant il nous aura fallu le digérer. Premier long-métrage réalisé par John McNaughton, deux ans après son documentaire choc, Dealers in Death, Henry : Portrait d’un Serial Killer s’inspire du tueur en série Henry Lee Lucas, condamné officiellement pour 3 meurtres, bien qu’il en ait déclaré plus de 300. Film totalement atypique approchant le quotidien de son tueur avec une vision quasiment documentaire, Henry est un film qui ne peut laisser indifférent.

Henry est un tueur psychopathe qui sème sur son chemin quantité de cadavres. Hanté par son enfance martyre, il tue car c’est sa seule manière de se libérer de ses démons. Il commence par sa mère, prostituée, qui, dès son enfance, l’habille en fille et le fait assister à ses ébats. Il s’est récemment installé à Chicago chez son ami Ottis, rencontré en prison. Ce dernier héberge également sa sœur, Becky, partie du domicile conjugal pour fuir un mari violent. La jeune femme ressent tout de suite une attirance pour Henry. Mais elle ignore tout des virées sanglantes qu’il fait en cachette et auxquelles Ottis va bientôt participer.

Présenté au Festival International du Film de Chicago en 1986, son extrême violence lui a valu une menace d’être classé X et une interdiction d’exploitation jusqu’en 1990. Son statut de film culte, Henry l’obtiendra grâce au marché vidéo. Henry est un film qui ne se cache jamais d’être ce qu’il est : une plongée frontale dans le quotidien d’un psychopathe qui ne ressent rien d’autre que l’envie de tuer. Après une ouverture faisant l’étalage des divers cadavres laissés sur la route par Henry, le film prend à la gorge d’emblée. Il embarque le spectateur au cœur d’une ambiance poisseuse où la désolation règne en maître. L’appartement d’Ottis est dénué de toute humanité. Il y subsiste le strict nécessaire : une table, trois chaises, un canapé, une télé, deux lits. Rien d’autre. McNaughton nous confronte, par sa mise en scène réflexive, sur la banalité des actions quotidiennes telles que manger, dormir, aller boire un verre, conduire sans but et, bien sûr, tuer. Le crime devient une broutille aussi futile que d’aller acheter un paquet de cigarettes. Par cette approche, McNaughton entend, bien évidemment, choquer, mais pas seulement. Pour ce faire, il prend des raccourcis et se permet des libertés avec les faits qui se sont réellement déroulés pour enfoncer le clou d’une relation destructrice malsaine à souhait. Car, s’il s’inspire d’une partie de la cavale sanglante de Henry Lee Lucas, le film de McNaughton met également en image les méfaits qu’il a accompli avec son complice (et amant) Ottis Toole (tueur en série cannibale et pyromane reconnu coupable de 6 meurtres bien qu’il en ait confessé une centaine). Le film fait fi de la romance gay et élude le cannibalisme pour se focaliser sur l’analyse du mal à sa racine. McNaughton ne verse pas dans le gore à foison ni dans l’accumulation de violence visuelle. Nul besoin de montrer frontalement l’horreur quand la suggérer est déjà suffisamment éprouvant. Pourtant, s’il possède cette réputation d’œuvre violente, ce n’est pas un hasard.

Parfait cousin de Schizophrenia de Gerald Kargl, il y a une envie de reproduire une authenticité dans les actes de Henry et Ottis. Si la plupart des meurtres se résument à une pulsion directe et sèche, le film atteint son paroxysme lors d’une séquence particulièrement dure et difficile à regarder : celle du meurtre d’un couple et de leur enfant. Cette séquence à elle-seule justifie toute l’ingéniosité de la mise en scène de McNaughton dans laquelle il préfigure la mode du found-footage qui surviendra dans les années 2000. Dans cette séquence, Henry filme Ottis en train de torturer une femme et s’apprêtant à la violer tandis que son mari, impuissant, est ligoté au sol. Le viol est stoppé net lorsque l’enfant apparaît dans la pièce et est battu à mort par Henry. Au-delà de la barbarie des tueurs, McNaughton opère à un travelling arrière en fin de séquence, révélant Henry et Ottis assis sur leur canapé en train de revisionner en boucle leurs méfaits sur leur télévision. La posture des deux protagonistes en dit long sur leur psyché absolument délirante et irrécupérable. Ils n’ont pas conscience d’être des monstres. Ils n’ont pas de conscience tout court. Par cette scène, McNaughton n’entend pas cautionner les actes de ses personnages, ni même porter un regard accusateur et/ou moralisateur. Tout comme il le fera tout au long de son film, il se positionne comme un simple témoin, un voyeur qui ouvre une porte sur la psyché de ses tueurs. Libre au spectateur d’y faire sa propre analyse et d’y sauver (ou non) sa conscience morale. C’est en cela que Henry est un film choc et archi-violent : tous les repères moraux et bien-pensants ne sont pas présents. On le répète, il n’est nul besoin de montrer l’intégralité des atrocités pour choquer. Henry est même plutôt minimaliste en la question. Seulement, tout comme Schizophrenia, il imprime des images indélébiles au fond de notre cerveau et vient nous bousculer dans notre confort pour être sûr d’y laisser sa marque.

S’il ne plaira pas à tout le monde, Henry : Portrait d’un Serial Killer a le mérite de proposer une approche unique et une vision de la folie macabre comme peu de réalisateurs ont réussi à le faire. Une œuvre indubitablement culte, à ne pas mettre devant n’importe quels yeux tant l’expérience sera éprouvante quoi qu’on puisse en penser en bout de parcours. Une œuvre qui a le mérite d’exister dans une bien belle édition qu’on vous encourage à vous procurer, d’autant le contenu additionnel est aussi intéressant que les questionnements soulevés dans le film. Carton plein, une fois encore, pour Carlotta Films dont on ne cessera probablement jamais de vanter les mérites de sa superbe ligne éditoriale.

2 Rétroliens / Pings

  1. Golden Glove : Trop de cadavres dans le placard, ça pue ! -
  2. Megalomaniac : Héritage damné -

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