Pleasure : Pour le plaisir ?

Auréolé d’une réputation sulfureuse (le distributeur The Jokers s’étant d’ailleurs farouchement battu contre une interdiction aux moins de 18 ans pour finalement obtenir une interdiction aux moins de 16 ans) et récompensé du Prix du Jury au dernier festival de Deauville, Pleasure débarque enfin dans les salles le 20 octobre prochain. L’occasion de découvrir ce que vaut cette plongée sans fards dans le monde du porno à Los Angeles, sujet que la réalisatrice Ninja Thyberg travaille depuis des années, Pleasure étant en premier lieu un court-métrage datant de 2013.

Bella, jeune suédoise de 20 ans débarque à Los Angeles avec un seul objectif en tête : devenir la plus grande star du porno. Peu à peu, son désir et son ambition se retrouvent confrontés à la réalité du milieu et Bella déchante tout en s’accrochant, décidée à ne pas sacrifier son rêve même si elle risque au passage d’y laisser une partie de son humanité, la gloire demandant quelques sacrifices…

Balayons déjà l’aura sulfureuse du film, celle-ci étant largement surcotée. Bien sûr que Pleasure nous montre sans rien nous censurer les coulisses de l’industrie pornographique mais à l’exception de quelques plans, il ne comporte rien de farouchement explicite, la réalisatrice ayant justement voulu que son film n’ait pas l’allure d’un porno. Tout ce qui rend le film difficile dans son visionnage vient de sa violence psychologique, Bella subissant au fil de son parcours plusieurs expériences désagréables. De fait, la jeune femme a beau dire qu’elle se lance dans le porno parce qu’elle aime le sexe, Pleasure a un titre joliment ironique : à aucun moment, on ne verra Bella éprouver du plaisir durant tout le film. C’est au contraire un parcours difficile qui l’attend, la réalisatrice Ninja Thyberg ayant longuement fréquenté le milieu afin d’en tirer un portrait le plus réaliste possible, dénonçant certes les travers d’une industrie encore farouchement patriarcale et parfois faussement bienveillante (on dit aux actrices qu’elles peuvent arrêter la scène à tout moment si ça ne va pas mais on le leur déconseille et en cas de doute de leur part, on leur balance des encouragements vaseux) sans pour autant complètement tomber dans le portrait à charge.

Comme le souligne l’actrice Sofia Kappel (une révélation), l’industrie du X reflète simplement qui nous sommes en tant que société. Si la société est raciste ou sexiste, l’industrie du X le sera également. Un jugement juste et qui fait mouche, le milieu échappant d’ailleurs à de nombreux clichés qu’il véhicule et aux jugements si faciles à porter pour qui ne le connaît pas. ‘’Je me prenais pour une féministe qui en savait plus sur le patriarcat que ces actrices. Mais je me suis rendue compte que c’est moi qui ne comprenais rien : elles savent exactement ce que c’est le patriarcat et elles l’affrontent tous les jours, de manière stratégique.’’ Ce témoignage de la réalisatrice illustre parfaitement combien le milieu pornographique est plus nuancé qu’il n’en a l’air. Des nuances que Pleasure pose plutôt habilement, le film se refusant tout jugement à l’emporte-pièce tout en se montrant cependant critique envers une industrie capable de faire preuve d’une violence rare, malmenant les actrices pour obtenir ce qu’elle veut sans se soucier de leur bien-être.

On regrettera donc que la note d’intention du film ne soit pas plus élaborée. Car Pleasure se montre finalement assez programmatique dans son scénario, chaque scène pivot (le moment où Bella a l’opportunité de tout quitter, celui où elle peut dénoncer ou non un acteur au comportement abusif, celui où elle prend sa vengeance sur une autre actrice) arrivant sans guère de surprises, de façon judicieuse certes mais sans pour autant transcender un récit qui manque de chair. C’est d’ailleurs l’opacité volontaire des motivations et des sentiments de Bella qui rendent Pleasure difficilement attachant. D’où vient sa volonté d’être pornstar, nous ne le saurons jamais et ce n’est pas le but du film de verser dans la psychologie un peu facile mais il est vrai qu’il nous manque un point d’ancrage émotionnel, là où Showgirls, pour parler d’un film aux thématiques similaires, parvenait à nous faire comprendre toutes les contradictions de son héroïne sans pour autant nous en livrer toutes les clés. Ici, Bella restera opaque jusqu’au bout, jusqu’à ce final presque un peu trop facile pour emballer totalement.

Reste tout de même l’audace de montrer le monde pornographique sous un jour aussi réaliste avec une héroïne dont les décisions offrent des moments forts mais Pleasure aurait sûrement dû se donner un peu plus de cœur pour mieux construire son récit. Cela n’empêche pas l’éclosion d’une cinéaste que l’on suivra avec intérêt mais on ne peut s’empêcher d’être déçu qu’un film sur un tel sujet ne bénéficie pas d’un personnage plus fort à qui un peu plus d’épaisseur n’aurait certainement pas fait de mal.

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