Le Dernier Duel : Pour l’honneur…

Chose étonnante – et en même temps Covid oblige – nous n’avions pas eu de nouvelles de Ridley Scott, cinéaste pourtant prolifique depuis 2017 et Tout l’argent du monde. Le voilà donc qui se rattrape en 2021 avec la sortie quasi-consécutive de deux nouveaux longs-métrages : Le Dernier Duel et House of Gucci. C’est Le Dernier Duel qui nous intéresse aujourd’hui, le film devant sortir en 2020 et ayant été reporté pour des raisons évidentes. Et voir Ridley Scott renouer avec le Moyen-Age et un certain cinéma épique, bien que ses précédents essais n’aient pas été d’étincelantes réussites avait tout de même de quoi faire saliver ceux qui ont visionné la version director’s cut de Kingdom of Heaven.

Autre indice qui laissait présager un Ridley Scott intéressant, la présence au scénario de Matt Damon, Ben Affleck et Nicole Holofcener. D’un côté deux vieux complices qui ne prennent pas souvent la plume et qui ne la prennent donc jamais pour rien et de l’autre une réalisatrice et scénariste indépendante à qui l’on doit, entre autres, le touchant All about Albert avec le regretté James Gandolfini. De quoi intriguer sur la teneur du film, basé sur des faits réels, à savoir le dernier duel judiciaire effectué en France en l’an de grâce 1386 qui opposa le chevalier Jean de Carrouges et l’écuyer Jacques le Gris. La femme de Carrouges, Marguerite avait en effet accusé Jacques le Gris, vieil ami devenu rival de son mari, de l’avoir violée. Carrouges, déjà courroucé par les faveurs que le comte d’Alençon avait attribuées à Jacques le Gris à son détriment, y voit là un ultime affront qu’il faut laver par le sang, le chevalier défendant ainsi l’honneur de sa femme.

Mais la vérité est beaucoup plus complexe, comme le film va habilement nous le montrer. En effet Le Dernier Duel repose sur une structure en trois parties relatant cette histoire. Chacune de ces parties relate le point de vue d’un personnage et son interprétation de la vérité : celle de Jean de Carrouges, celle de Jacques le Gris et celle de Lady Marguerite. Chose originale, à l’écriture Matt Damon et Ben Affleck se sont occupés des deux premières parties tandis que Nicole Holofcener s’est chargée de l’écriture autour du personnage de Lady Marguerite. Le procédé permet ainsi un équilibre des points de vue et de belles nuances invitant à revoir le film pour voir combien, par touches, le scénario nous fait voir des moments identiques sous des angles différents. Il est ainsi intéressant de constater combien la vérité selon Carrouges et le Gris diverge, chacun des hommes s’attribuant des mérites et des valeurs dont on ne saura jamais vraiment s’ils les possèdent ou non.

Jusqu’à présent, rien de nouveau dans ce procédé, rendu célèbre par Rashomon mais là où Le Dernier Duel trouve toute son ampleur c’est quand il se concentre sur Lady Marguerite et sa vérité, que les scénaristes considèrent comme LA vérité. C’est elle le véritable personnage principal du film, son pivot et son cœur. C’est une femme humiliée et meurtrie qui, dans une société cruelle et brutale, aussi bien par sa violence physique que sociologique, ose prendre la parole. On la prévient, pour garder sa place et ne pas risquer sa vie (à l’époque, si le mari de la femme bafouée perdait le duel, la femme était aussitôt accusée de faux témoignage et brûlée vive), il faut se taire et subir les humiliations que d’autres femmes ont déjà subies auparavant sans broncher. Mais elle clame la vérité haut et fort, prenant le risque de la mort et de passer au second plan, son courage n’étant pas célébré tandis que celui de son mari, plus intéressé par son honneur personnel dans cette histoire, risque d’être loué par les foules en cas de victoire.

En cela, Le Dernier Duel s’impose comme une allégorie très pertinente de notre monde actuel et des dernières années ayant secoué pas mal de milieux (celui de Hollywood notamment en ligne de mire) où la prise de parole des femmes est désormais entendue, se débarrassant peu à peu d’un environnement masculin toxique. Certes il y a tout un monde séparant le Moyen-Age au nôtre mais il n’empêche que Le Dernier Duel n’en demeure pas moins extraordinairement pertinent, pensé à la fois comme un divertissement épique mais également comme une réflexion intelligente sur cette libération de la parole des femmes, le transformant (paradoxalement pour un film historique) en un grand film moderne racontant parfaitement notre époque.

C’est donc bel et bien Lady Marguerite l’héroïne du film et Jodie Comer (qui monte de plus en plus à Hollywood depuis Killing Eve) offre une très belle prestation pleine de nuances, confirmant tout le bien que l’on pense d’elle, insufflant à Marguerite une bravoure ayant fière allure dans un tel contexte. En Jean de Carrouges, Matt Damon hérite d’un rôle moins évident mais dont il se sort avec les honneurs tandis qu’Adam Driver est évidemment impeccable dans le rôle de Jacques le Gris, servant les zones d’ombres du personnage avec son talent habituel. On remarquera également Ben Affleck qui s’amuse dans le rôle du comte d’Alençon, personnage secondaire qu’il incarne avec une malice évidente, lui qui aurait dû se retrouver dans le rôle de Jacques le Gris face à son vieux compère Matt Damon mais qu’il n’a pas pu assurer pour des questions de disponibilités.

Qu’importe puisque le casting est impeccable et que très bien épaulé par un scénario solide et intelligent, Ridley Scott se retrouve en grande forme, livrant des scènes d’une violence particulièrement brutale (le duel du titre en question est un sacré morceau de bravoure) tout en renouant avec un souffle épique qu’il avait perdu depuis quelques années. La preuve qu’à 83 ans, le cinéaste que l’on pensait presque en bout de course retrouve une forme étonnante et qu’il peut toujours, quand il a entre ses mains une matière inspirante, livrer un grand film. Ce qui est une excellente nouvelle, espérons que ça continue comme ça !

4 Rétroliens / Pings

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