Les Intranquilles : … Passionnément… à la folie.

Joachim Lafosse aime ausculter les problématiques de la famille, les membres qui la composent et leurs failles, leurs chutes, leurs dépressions. Chez Lafosse, ce n’est jamais tout beau tout rose, bien au contraire. Cela a débuté avec Nue Propriété jusqu’à À en Perdre la Raison, L’économie du Couple sur la cohabitation d’un couple en séparation avant de revenir sur le périple réconciliatoire entre une mère et son fils dans Continuer avec Virginie Efira.
Dans son nouveau long-métrage en salles le 29 septembre 2021, Joachim Lafosse explore la famille sous l’emprise de la maladie du père incarné par Damien Bonnard, artiste-peintre bipolaire qui se laisse aspirer par sa folie entraînant son génie artistique. Sa femme et son fils sont alors confrontés aux crises et à la résilience de celui-ci envers son traitement. 

Joachim Lafosse revient avec un sujet complexe traitant une part de sa vie, son père étant lui-même bipolaire. Il n’évite donc aucun artifice malaisant ni la moindre complaisance envers son personnage principal. L’axe est à hauteur d’homme permettant aux spectateurs d’assister et de vivre l’histoire en compagnie de Damien et Leïla gardant leurs noms, comme une mise en place naturaliste pour capturer le plus d’authenticité possible. La démarche fonctionne dès les premières minutes sur cette plage où l’enfant conduit seul un bateau et où Leïla guette le retour à la nage de son mari. Il est suractif dormant peu quitte à réparer les mobylettes à deux heures du matin. Le couple est en pleine épreuve quand le spectateur débarque dans la vie de cette famille sous le tumulte des potentielles crises du mari. On n’assistera pas à la première après un départ en voiture pour de la glace. On a perçu les symptômes et ce qui va se tramer plus tard jusque dans la classe du petit Amine assistant aux chutes du père, ses dépressions et son abandon de lui-même. Amine que Leïla protège au mieux des dérapages d’un père qui vrille empoisonnant le quotidien tranquille au soleil de cette femme rénovatrice d’objets.

Joachim Lafosse s’efface par une démarche de laisser les acteurs s’emparer des rôles et les mener comme bon leur semble jusqu’à une décision finale sur le scénario prise à trois. Les rôles devaient être tenus par Matthias Schoenaerts et Jasmine Trinca au départ. Mais le film a pris une véritable tournure à l’arrivée de Damien Bonnard donnant corps à ce personnage devenu avec lui peintre, capacité réelle de l’acteur qui l’incarne outre mesure. La performance de l’acteur est hors-norme, incroyable, jusqu’au-boutiste. L’acteur, révélé par Rester Vertical d’Alain Guiraudie ou C’est Qui cette Fille ? de Nathan Silver, trouve la collaboration idoine pour se laisser guider par son instinct, génie pur de jeu. La première partie lui est consacrée avant le basculement du point de vue vers Leïla. Les Intranquilles n’est jamais un film sur la maladie, mais plutôt une interrogation sur la capacité et les limites de l’engagement amoureux. La seconde partie s’axe sur les capacités de Leïla à maintenir debout cette famille qui s’effrite au fil des crises de Damien. Pourtant il y a une belle séquence de voiture en chanson, mais ce n’est qu’une illusion. La crise au cœur du village est le basculement pour elle qui porte la foi d’un foyer, quand le mari se laisse vriller, ne prend pas conscience des risques de sa pathologie sur eux. On assiste alors, sans le moindre jugement, la moindre compassion, à la chute de cette famille, la cassure irréversible faute à une confiance brisée. Leïla Bekhti livre une énième composition phénoménale trouvant en Damien Bonnard le compagnon idéal pour exprimer toutes ses capacités. Joachim Lafosse n’a alors plus qu’à capturer et immortaliser ses instants pouvant potentiellement les porter vers les Césars. C’est tout le mal qu’on leur souhaite.

Les Intranquilles est un long-métrage sans fards à l’image de L’économie de Couple, film dur et bouleversant. Joachim Lafosse continue son exploration des liens familiaux avec ce sujet qui le touche de près en compagnie d’un couple de comédiens libéré de toutes contraintes. Leïla Bekhti et Damien Bonnard portent avec eux ce film pouvant se ressentir long, peut-être chaotique selon les phases du couple, mais admirable en tout point tant par l’authenticité du jeu et du dispositif mis en place. Les Intranquilles est une proposition forte à découvrir pour les compositions hallucinantes de ses comédiens en plein lâcher-prise et en confiance en compagnie de Joachim Lafosse évitant toute lourdeur envers la maladie, mais captant la désintégration de l’amour et les limites de l’engagement familial. Un dispositif brillant.

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