Seuls les anges ont des ailes : Voler pour exister

Régulièrement, Wild Side met la main sur un grand classique du cinéma qu’il nous offre dans une superbe édition Blu-ray + DVD + Livret. C’était le cas dernièrement avec De Sang-froid et c’est le cas encore avec Seuls les anges ont des ailes (très beau titre), disponible depuis le 7 juillet dernier dans un master de toute beauté, rendant parfaitement justice à cet authentique chef-d’œuvre, peut-être l’un des films les plus réussis d’Howard Hawks, celui qui en tout cas représente son cinéma dans toute sa quintessence.

Féru d’aviation, Hawks avait, sur le tournage de Viva Villa ! au Mexique, observé les pilotes d’une petite compagnie aérienne. Entre les avions usés, les conditions de sécurité précaires et la franche camaraderie qui régnait, le cinéaste avait trouvé là le sujet d’un film. Ce sera donc Seuls les anges ont des ailes, écrit par le scénariste Jules Furthman, collaborateur régulier de Hawks et Josef von Sternberg. Soit l’histoire d’une petite compagnie aéropostale située dans un petit port d’Amérique du Sud. Bravant les dangers à chaque vol pour assurer la livraison du courrier, les pilotes vivent comme s’ils pouvaient mourir demain. Ils savent que leurs coucous ne sont pas les plus à même de leur faire survoler la cordillère des Andes et ils ont vu de trop nombreux camarades s’écraser. Dans ce monde peuplé d’hommes, la camaraderie est le maître mot et Geoff Carter dirige ses pilotes avec rigueur, pouvant se montrer dur mais assurant lui-même les vols qu’il sait trop dangereux pour son équipe.

À ce microcosme purement hawksien (on connaît le goût du cinéaste pour la camaraderie masculine et le sens du devoir) viennent se greffer deux femmes. Bonnie Lee, new-yorkaise de passage qui tombe sous le charme de Geoff malgré son caractère et Judy, l’ancien amour de Geoff, désormais mariée à un nouveau pilote intégrant l’équipe. Durant ses deux heures, le film ne sera rien d’autre qu’un petit théâtre des relations humaines dans lequel se joue l’essentiel de la vie. De la vie merveilleusement captée par Hawks, en pleine possession de ses moyens, si bien qu’en voyant le film réalisé en 1939, on est étonné de voir combien il dit tout, sinon presque, de l’infinie complexité des relations humaines. Le sens du devoir, l’amitié, l’amour, la lâcheté, le courage, la mort, le deuil, tout est ausculté par le scénario, non pas dans un récit programmatique qui nous donnerait des leçons de morale mais au contraire dans un récit hollywoodien dans tout ce qu’il y a de plus noble où l’on peut dire beaucoup sans avoir l’impression de faire passer le message au forceps.

Seuls les anges ont des ailes est ainsi un véritable modèle d’écriture et de mise en scène, chaque personnage et chaque relation étant écrit avec une infinie subtilité et une intelligence confinant au génie. Tout va à l’essentiel en l’espace de quelques séquences. Qu’un pilote condamné par ses pairs pour lâcheté se rachète dans un acte de bravoure, que Geoff doive annoncer à son meilleur ami qu’il ne pourra plus voler ou que le propriétaire de la compagnie aérienne refuse de dire à ses employés ses ennuis financiers afin qu’ils ne prennent pas de risques inconsidérés, le film célèbre la franche camaraderie sans en occulter les moments plus durs, de ceux où l’on ne prend pas le temps de pleurer un pilote mort en plein vol (quitte à choquer Bonnie Lee) car il faut avancer coûte que coûte, livrer le courrier et voler malgré les dangers car c’est ce qui fait l’étoffe des héros.

Evidemment, tout ces personnages masculins, joliment menés par un Cary Grant que l’on a rarement vu aussi sérieux et sûr de lui (l’acteur ayant joué beaucoup de rôles où il glissait un peu de malice) ne seraient rien sans les deux femmes du récit qui viennent remuer leurs habitudes et souligner leurs fêlures. Car si les films d’Howard Hawks sont essentiellement composés d’hommes, la femme y a parfaitement sa place, loin d’être là pour être la potiche de service. En témoigne le personnage de Bonnie qui décide de rester en ville pour Geoff sans rien lui demander et qui supporte avec caractère les refus de ce célibataire qui ne veut plus demander à une femme de l’attendre sur la piste d’atterrissage en s’inquiétant. Dans le rôle, Jean Arthur, plus habituée à Frank Capra qu’à Hawks, fait pourtant des merveilles tandis que Rita Hayworth, à ses débuts, est tout à fait sublime et amplement convaincante dans la peau de cet amour surgi du passé.

Célébrant la vie, Seuls les anges ont des ailes est une œuvre éblouissante, remarquable qui parvient, avec pudeur, à parler des sentiments les plus humains. On a souvent dit que Hawks filmait à hauteur d’hommes, rien n’est plus vrai face à ce film qui bouleverse et émeut, plus de 80 ans après sa réalisation, la preuve que si aujourd’hui l’aéropostale a bien changée, ce n’est pas le cas de l’humanité, travaillée encore et toujours par les mêmes sentiments.

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