Dune : Et Denis Villeneuve réalise l’impossible

C’était un film attendu comme le Messie. Pensez donc : Denis Villeneuve, le cinéaste ayant réussi à faire une suite tardive (et réussie) à Blade Runner avait, c’était une évidence dès Premier Contact, mais encore plus avec Blade Runner 2049, toutes les clés pour réussir à porter à nouveau à l’écran le roman réputé inadaptable de Frank Herbert et transformer cette vaste entreprise en succès. De succès commercial, il est encore trop tôt pour en parler puisque Dune ne sortira que le 22 octobre prochain aux Etats-Unis et qu’il faudra qu’il s’impose au box-office pour que Warner mette la suite en chantier, le studio ayant refusé à Villeneuve l’opportunité de tourner les deux films en même temps. Mais de succès artistique, nous pouvons en parler et ce avec d’autant plus de joie qu’il est là, le cinéaste ayant réalisé le modèle même de ce que doit être une adaptation : une capacité à respecter l’esprit et la complexité thématique du livre tout en n’hésitant pas à parfois le trahir et à savoir quand il faut trancher dans le lard et sacrifier quelques éléments pour que le tout s’imbrique dans un film.

D’une durée déjà conséquente (2h35) et couvrant toute la première partie du roman d’Herbert, le scénario a tout de même dû opérer des choix pour ne pas surcharger le récit, déjà bien garni. Si la frustration peut se faire ressentir chez les fans du livre face à certains éléments et personnages sacrifiés (le docteur Yueh, Thufir Hawat, Piter De Vries), force est de constater que tous les choix effectués par Villeneuve, Jon Spaihts et Eric Roth sont d’une pertinence et d’une intelligence qui font plaisir à voir et que le film est une adaptation parfaitement fidèle, sachant donner vie à l’imaginaire d’Herbert et à ses thématiques complexes. Loin de simplifier les enjeux et de céder aux conventions hollywoodiennes, Denis Villeneuve livre un blockbuster exigeant, nécessitant toute l’attention du public pour que celui-ci s’y retrouve. C’est du pur cinéma, comme le réalisateur sait le faire : quitte à parfois être froids, ses films sont toujours d’une beauté esthétique ahurissante. Ici, il ne fait pas exception à la règle et livre des séquences et des plans absolument superbes, convoquant tout un imaginaire cinéphile (jusqu’à citer Apocalypse Now) tout en ayant sa propre ambition esthétique.

À la vue des premières images, on pouvait craindre un film trop beau et trop lisse, loin de correspondre au monde imaginé par Frank Herbert. Il n’en est rien, Dune entreprenant très rapidement de donner vie à cet univers de manière concrète et organique. Le soin apporté aux décors, aux costumes, à la photographie, aux effets spéciaux, à la musique (Hans Zimmer toujours un brin endormi sur ses claviers mais dont la partition correspond parfaitement à la tonalité du film) et même au travail général sur le sound design (qui transforme parfois le film en expérience sensorielle) confirme l’exigence de la production. Point de Marvel ici où l’on se moque parfois de voir les fonds verts et de confier les scènes d’action à une équipe de prévisualisation, ici tout est mené de main de maître, dans la volonté claire de réconcilier blockbuster et cinéma.

Quand on connaît l’accueil que le public américain a réservé à Blade Runner 2049, on est donc en droit de s’inquiéter sur la destinée de ce film sortant des canons habituels du divertissement de masse hollywoodien et qui demande à son public de s’y plonger corps et âme pour en saisir tous les enjeux. Car si la trajectoire de Paul Atréides est classique dans ses grandes lignes (jeune homme forcé de grandir en se retrouvant pris dans une situation qu’il n’a jamais voulue, élu qui n’a rien demandé terrifié par ses propres visions), Dune n’en brasse pas moins des enjeux politiques, écologiques et spirituels. Le film, fidèle à la prose d’Herbert, se concentre donc plus sur les personnages, leurs doutes, leurs peurs que sur le spectaculaire même si quand celui-ci est au rendez-vous, il est sacrément impressionnant.

Ayant toutes les allures d’une tragédie grecque, ce premier volet doit énormément à son fabuleux casting. Pour quiconque ayant lu les romans, il n’y a pas un seul acteur qui dénote dans les rôles qu’on leur a attribué. Timothée Chalamet confirme les espoirs placés en lui en donnant à Paul une profondeur et une gravité tout à fait de circonstances, Rebecca Ferguson fascine en Dame Jessica, Oscar Isaac dévore l’écran de son charisme en Duc Leto acceptant un cadeau empoisonné en toute connaissance de cause, Stellan Skarsgard terrifie en Baron Harkonnen, quand Josh Brolin et Jason Momoa sont les choix parfaits pour incarner les dévoués Gurney Halleck et Duncan Idaho. Dave Bautista, Zendaya et Javier Bardem, bien que parfaitement choisis également ont bien trop peu de temps de présence à l’écran pour qu’on puisse réellement en dire quoi que ce soit, les personnages étant appelés à être développés par la suite.

Une suite que l’on espère de tout cœur tant Denis Villeneuve réalise là une prouesse, adaptant enfin comme il se doit Dune, le cinéaste ayant su faire jusqu’au bout tous les bons choix pour ravir à la fois les fans du roman et les néophytes de l’univers, le film étant étonnamment compréhensible dans toutes les simplifications qu’il effectue. Ne sacrifiant jamais son intégrité artistique et son exigence pour faire venir les spectateurs, voilà bien un film presque unique en son genre, confirmant tout le bien que l’on pense de Denis Villeneuve dont le parcours, à l’image de celui de Paul Atréides, force l’admiration.