Near Dark : Western crépusculaire aux crocs acérés

Les vacances sont véritablement terminées, Shadowz a fait sa rentrée en bonne et due forme (spoiler : il y a du très lourd qui arrive). Quoi de mieux pour reprendre le chemin du travail et des écoles que d’aller taper dans un film culte, une pépite des années 80 injustement oubliée, mais chérie par un cercle très privé de cinéphiles. Near Dark (sorti chez nous, à l’époque, sous le titre Aux Frontières de l’Aube) est le premier film réalisé en solo par Kathryn Bigelow (elle avait co-écrit et co-réalisé The Loveless avec Monty Montgomery). Aujourd’hui une des réalisatrice les plus en vogue d’Hollywood, Bigelow s’est forgée une sacré réputation de metteuse en scène dès Near Dark. Elle co-écrit son film avec Eric Red (qu’elle retrouvera sur Blue Steel, son film suivant). Les deux scénaristes voulaient en faire un western. Malheureusement, le genre en vogue à la fin des années 80 était orienté vers l’horreur et le fantastique. Dans l’incapacité de réunir des fonds pour un western (considéré comme mort et dépassé à l’époque), Red et Bigelow décidèrent d’y ajouter une notion fantastique à leur script. Mais comme Bigelow n’aime pas faire les choses comme tout le monde, Near Dark sera bien plus qu’un simple film de vampires…

Une nuit, Caleb, un jeune fermier de l’Arizona, rencontre la belle Mae. Fasciné, il tente de la séduire et obtient d’elle un baiser qui devient une morsure. Ce contact va entraîner Caleb dans le monde des compagnons de Mae, des vampires. Pour survivre, il devra apprendre à tuer pour s’abreuver du sang de ses victimes. Partagé entre l’amour la passion qu’il porte à Mae et son refus de devenir un tueur assoiffé de sang, Caleb va devoir faire des choix.

Ex-femme de James Cameron, Kathryn Bigelow a eu son énorme soutien lorsqu’elle a du monter son film. Ce dernier, à l’époque, adoubé par le monde entier suite au succès de sa suite d’Alien, lui confie trois des acteurs de son film : Lance Henriksen, Bill Paxton et Jenette Goldstein. Avec ce trio qui se connaissait parfaitement, Bigelow décide d’en faire une bande de vampires modernes, au look à mi-chemin entre cow-boy et chasseur de prime contemporain (les prémices de Vampires de John Carpenter ne sont pas très loin). Acteurs les plus confirmés du casting, le trio impose l’aura rock’n’roll qui colle à la peau du film, Bill Paxton en tête. Ce dernier contribuera à lui-seul à faire perdurer le film dans le temps. Sa performance, magistrale, lui permet d’étoffer toute la créativité dont il était capable. Fou furieux adepte de tortures en tout genre, il se complaît dans sa condition de vampire. Il aime le goût du sang, il aime torturer ses proies, il aime tuer. L’une des séquences centrales du film (celle du bar) est devenue culte uniquement par son imposante présence (et son déhanché mythique). Tel un saloon prit d’assaut par des bandits, cette seule scène a fait l’objet de multiples analyses tant Bigelow y joue de symboliques et d’idéologies. D’ailleurs, la symbolique vampire n’y empruntera au mythe que leur besoin de boire du sang et la crainte du soleil. Jamais le mot « vampire » ne sera prononcé dans le film. Bigelow utilise cet élément fantastique de son histoire pour y traiter de dépendance. Elle voit ses marginaux comme une bande de junkies en quête de leur drogue quotidienne. Sa horde sauvage vit totalement en marge de la société. Une société dans laquelle il ne fait pas spécialement bon vivre pour Bigelow puisqu’elle laisse ses citoyens totalement à l’abandon et à la merci des premiers détraqués venus. Dans le monde de Near Dark, l’être humain est nettement plus dangereux que son prédateur. Vivre dans l’ombre devient le mal nécessaire à la survie de tout un chacun. Ce n’est qu’après avoir affronté l’obscurité que la rédemption peut être espérée. Le fantastique et l’horreur maquillent également les ambitions de western de Bigelow. Toute la construction de son film emprunte les éléments classiques du western et de la tragédie Shakespearienne. Caleb est un cow-boy éprit d’une femme qu’il ne peut avoir à la seule condition d’être accepté par une famille qui ne le veut pas. Obligé de gagner la confiance de ses détracteurs, il devra embrasser la vie de bandit pour protéger celle de ses proches. Mais comment faire pour revenir en arrière ?

On pourrait croire que le mélange de plusieurs genres et le fait de nous rendre attachant ses anti-héros conférerait à Near Dark un aspect foutraque. Seulement, la force du film de Bigelow réside également dans le soin et la délicatesse qu’elle apporte à sa mise en scène. L’ambiance est envoûtante grâce à la bande-originale délicate de Tangerine Dream, la nuit est mise en image avec un respect infini. Bigelow ne se contente pas de nous inviter au sein de l’univers de ses vampires, elle décrypte leur monde dans les moindres détails. Elle expose leurs failles autrement que par la peur de mourir de soif ou d’être brûlé vif. Chacun des protagonistes possèdent des rêves, des ambitions et des tâches inachevées que le poison de leur vie de morts-vivants les empêchent d’accomplir. Caleb, tel un messie envoyé dans les ténèbres pour rétablir la lumière, sera le sauveur, le rédempteur. La symbolique christique, bien que non-appuyée par Bigelow, devient évidente lorsqu’il se sacrifie lors de l’assaut du motel pour sauver ses comparses d’une mort certaine. Caleb comprend le mal qui les ronge et désire leur montrer une alternative, la voie de la guérison. Caleb devient la dernière main tendue pour cette famille désabusée. Si certains des membres sont irrécupérables, d’autres tentent de comprendre le point de vue de Caleb. Sans jamais imposer sa pensée, il montre un chemin possible et leur laisse le libre choix de leur destinée. Mais Bigelow aime aussi torturer les bonnes mœurs. Le personnage de Homer (interprété par un impressionnant Joshua John Miller alors âgé de 13 ans) est aussi tendancieux qu’il pose des questions légitimes. Que faire lorsque l’on est un vampire adulte piégé dans un corps d’enfant ? Bigelow flirte avec la morale de très près et en tire un anti-héros aussi touchant que redoutable.

Pour toutes les symboliques qu’il fait cohabiter sans jamais qu’elles ne se piétinent entre-elles, son ambiance léchée qui tire parfaitement tous les atouts de son petit budget, sa revisite du mythe du vampire et son casting d’enfer, Near Dark mérite amplement sa réputation de film culte. En dépit d’un échec cuisant au box-office à sa sortie, ce film a permis à Kathryn Bigelow de montrer qu’elle avait de la ressource et qu’il était possible de faire un film spectaculaire tout en étant dans la retenue. Un spectacle savoureux à dévorer de toute urgence sur Shadowz.

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Article réalisé dans le cadre d’un partenariat avec la plateforme Shadowz.

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