Boîte Noire : Décortiquer le son en quête de sens

Depuis le début de sa carrière, Yann Gozlan trace son chemin avec une appétence particulière pour le thriller, genre bien trop rare en France et dont on est pourtant capable de tirer de très bons films. Bien que la carrière du cinéaste soit inégale (si l’on apprécie Burn Out, Un homme idéal n’était pas exempt de défauts), on ne peut s’empêcher d’admirer sa détermination à se frotter au genre à chaque nouvelle réalisation avec toujours une sincère envie de cinéma et l’ambition de ne jamais se répéter. Avec Boîte Noire, Gozlan parvient enfin à ménager un bel équilibre entre son travail de mise en scène et son scénario, les deux se complétant à merveille.

Après Un homme idéal, le réalisateur retrouve donc Pierre Niney qui incarne une fois de plus un personnage étonnamment appelé Mathieu Vasseur. Ici, Mathieu travaille pour le BEA, organisme chargé d’enquêter sur les accidents aériens afin d’en déterminer la cause. Avec une oreille particulièrement fine, Mathieu est un jeune homme brillant mais dont la tendance à la paranoïa l’a déjà grillé auprès de ses collègues. Quand on lui confie l’enquête sur le crash d’un avion s’étant planté dans les Alpes sans laisser de survivants, Mathieu se met au travail avec assiduité mais commence à douter de la réelle raison de l’accident. On le presse de boucler le dossier et de rendre ses conclusions mais il sent que quelque chose cloche, quelque chose résidant sur l’enregistrement de la boîte noire. Alors que la théorie d’un complot se fait de plus en plus sérieuse, Mathieu risque bien d’être le seul à y croire, quitte à ce que sa quête le mette en danger…

En lorgnant ouvertement du côté des grands thrillers paranoïaques des années 70, gardant le cinéma de Pakula et surtout l’immense Conversation secrète de Coppola en tête, Yann Gozlan livre avec Boîte Noire un thriller parfaitement tendu, arrivant à maintenir la tension un peu plus de deux heures avec une certaine économie de moyens. En effet, la plupart du film se passe en intérieur et consiste à voir Pierre Niney écouter et décortiquer un enregistrement audio jusqu’à pouvoir lui trouver du sens. Personnage obsessionnel et paranoïaque, Mathieu nous guide pendant tout le récit sans pour autant nous assurer de sa fiabilité. Tout son entourage ne cesse en effet de lui rappeler ses faiblesses et sa capacité à faire dire aux enregistrements ce qu’il veut bien entendre. Dès lors, il s’agit pour nous spectateurs de nous accrocher à lui, de partager ses doutes et de nous faire espérer qu’il ait raison. Travaillant habilement sur cette notion trouble (même s’il ne la mène pas jusqu’au bout), le film s’avère particulièrement fascinant, une séquence nous ayant convaincu du bien-fondé du raisonnement de Mathieu étant généralement suivie d’une interaction jetant le doute sur la lucidité du personnage qui est clairement remplie de frustrations et prêt à sacrifier beaucoup dans sa quête de vérité.

Collant quasiment en permanence au personnage (à qui Pierre Niney prête toute sa fébrilité et sa nervosité avec talent), Boîte Noire travaille la même esthétique grisâtre que ses modèles et navigue dans les mêmes zones de gris. Ayant bien retenu la leçon de ses maîtres, Yann Gozlan évite malgré tout la répétition en offrant à son film une réelle personnalité, se montrant certes moins radical mais témoignant de la même redoutable efficacité, le film n’étant pas non plus sans rappeler le génial Blow Out de Brian De Palma dont le récit s’articulait également sur l’étude jusqu’à l’obsession d’un enregistrement audio. Les ficelles ont donc beau être déjà vues pour quiconque connaît ses classiques du genre, on ne niera pas que Gozlan mène le tout avec une belle maîtrise, ayant en plus eu l’intelligence d’inscrire son récit au cœur d’un univers relativement méconnu du cinéma où le crash d’avion importe moins que ses raisons et que l’enquête en déterminant les causes. Boîte Noire s’articule ainsi comme un thriller plutôt malin, sachant se renouveler au fil de ses (pourtant nombreuses) séquences d’écoutes pour proposer un récit à la tension permanente qui fonctionne surtout parce qu’il est accompagné d’une passionnante étude de personnage, Mathieu étant rempli de contradictions et de défauts, permettant de donner du cœur à un film dont on ne peut s’empêcher d’admirer la mécanique et ce d’autant plus qu’elle ne provient pas d’un film américain, chose d’autant plus rare qu’elle fait plaisir.

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