Hitler… Connais pas : un film joli, mais…

Chaque cinéphile, chaque amateur de cinéma et de dialogues finement ciselés, chaque amoureux des acteurs et des textes taillés sur mesure connait – au moins de nom – l’inénarrable Bertrand Blier. Auteur d’une vingtaine de longs métrages de cinéma faisant la part belle aux beaux mots sciemment proférés par les comédiens idoines (Gérard Depardieu, Patrick Dewaere, Miou-Miou, Michel Serrault ou encore Michel Blanc, Josiane Balasko, Carole Bouquet et même Coluche…) et aux situations loufoques et/ou surréalistes mâtinées de poésie provocatrice Bertrand Blier nous habitue depuis près d’un demi-siècle au meilleur (le choc retentissant que représente Les Valseuses dès 1974, le très mélodramatique et doux-amer Préparez vos mouchoirs! ou encore le chef-d’œuvre Tenue de Soirée dans le courant des années 80) comme au moins bon (l’échec commercial et sans doutes justifié du médiocre Calmos en 1976, Les Côtelettes, scandale cannois de l’année 2003 ou plus récemment le passablement mitigé Convoi Exceptionnel…), cherchant toujours à exprimer sa tendresse subversive sans le moindre compromis commercial ni artistique, hissant le plus souvent ses comédiens et ses comédiennes au rang de montagnes… Rares sont les spectateurs ayant vu son tout premier long métrage de cinéma, tourné plus de dix ans avant le succès des Valseuses : l’intrigant Hitler… Connais pas, documentaire au coeur duquel le célèbre dialoguiste retrace une éventuelle enquête sociologique de la jeunesse des années 60 à des fins spectaculaires, interviewant onze intervenants des deux sexes dans l’intimité froide, intimidante presque, des studios d’Epinay pour mieux brosser le portrait de la toute première génération d’après-guerre. Make My Day! – programme présenté et dirigé par Jean-Baptiste Thoret – permet aujourd’hui de redécouvrir cette pépite moins précieuse pour ses qualités relatives que pour sa rareté, bel écrin de cinéma documentaire réinventant le réel disponible au détour du neuvième numéro de la collection : retour sur un film aussi passionnant qu’inégal, loin des chefs-d’œuvre à venir de l’âge d’or du cinéaste français mais en même temps entièrement symptomatique de son ineffable respect pour les sujets qu’il aborde d’un long métrage au suivant.

Onze intervenants donc, autant de représentants de la jeunesse de cette année 1963 au coeur de laquelle Bertrand Blier fait ses premières armes de réalisateur : un jeune étudiant propre sur lui vantant les mérites de l’hypocrisie, un prolo sensible à la gouaille inimitable et bagarreur à ses heures, un ouvrier détenteur d’une bonhomie communicative, une jeune femme matérialiste et croqueuse d’hommes, une mère célibataire au regard triste… Onze anonymes que le cinéaste interroge individuellement pour mieux les réunir, les réconcilier par l’entremise d’un montage docu-menteur, manipulateur et virtuose tout à la fois… Durant deux semaines de tournage Blier rencontre – après avoir opéré un important casting, mettant un point d’honneur à saisir des personnalités fortes et atypiques – cette jeunesse pour qui le nom du célèbre dictateur allemand de la Seconde Guerre Mondiale n’est qu’un héritage inconséquent, à peine cité dans les manuels scolaires et bien loin de leurs préoccupations contemporaines. Et pour cause : tous les intervenants filmés par les caméras Mitchell judicieusement placées par Blier afin d’entretenir l’illusion d’une parole partagée ont moins d’une vingtaine d’années. Ainsi la provocation intrinsèque au titre n’a rien d’un négationnisme éhonté voire inepte, s’inscrivant bien davantage dans le quotidien d’une jeunesse de plus en plus questionnée, de plus en plus sollicitée par les anciennes générations cherchant à perpétuer le monde de demain.

Le film est estimable sur bien des points : spontanéité des individus filmés, science du montage et de l’artifice cinématographique (Bertrand Blier aurait été fortement conseillé par le chef opérateur Sacha Vierny pour son travail hors-paire sur l’image Noir et Blanc très contrastée de son documentaire), témoignage filé de toute une époque aujourd’hui révolue… Il demeure néanmoins un rien approximatif dans sa teneur d’ensemble, certainement en raison d’un montage particulièrement ardu voire fastidieux qui aurait nécessité plus de cinq mois d’acharnement de la part de Bertrand Blier. Plus ou moins passionnant, sans doutes en raison de l’hétérogénéité du collectif formé par les jeunes intervenants, Hitler… Connais pas place le verbe et la parole au centre de son propos, pariant sur le naturel de ses figures et sur leur puissance empirique ; il reste un film-document d’une richesse historique et sociologique indiscutable, partageant avec Le Joli Mai de Chris Marker tourné presque à la même période le goût pour le cinéma imbriquant réalité et fabrication dans une même entité filmique… Toutefois, Bertrand Blier n’y manifeste pas encore son penchant pour la provocation extrême présente dans ses films ultérieurs, privilégiant l’effacement au dialogue surligné puisqu’il n’apparaîtra jamais, ni à l’écran, ni au détour de la bande-son. Voilà donc un documentaire un rien maniériste nous laissant en partie sur notre faim, dont la qualité première réside dans l’immédiateté reconstituée par le réalisateur, livrant là un édifiant portrait générationnel. C’est à voir.

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