Le fils de l’épicière, le Maire, le Village et le Monde : Le documentaire des documentaires

Quel drôle de nom pour un documentaire. Et surtout, difficile de ne pas se planter quand on en parle. Pourtant il définit assez bien l’environnement très intime du petit village de Lussas, dans lequel quelques aficionados du documentaire se sont réunis pour créer la plateforme numérique Tënk. Une plateforme du même acabit que Netflix etc. spécialisée dans la diffusion de films documentaires d’auteurs. Et qui de mieux pour parler des documentaires dans un documentaire que la virtuose du genre, Claire Simon ? Après ses derniers passages au sein de l’éducation avec Premières Solitudes et Le Concours, la reine des documentaires nous raconte l’envers du décor d’un projet d’envergure pour une plateforme numérique indépendante.

Avec le soutien du maire de Lussas, Jean-Marie Barbe, l’un des pontes du cinéma documentaire actuel, entreprend dés 2015 (et certainement avant) la création d’une plateforme numérique de diffusion de documentaire d’auteurs. La commune de Lussas n’est pas novice dans le domaine puisque Jean-Marie Barbe lui-même a déjà quelques projets à son actif (docmonde, Ardèche Images). Autant dire que dans le monde documentaire, la réunion Jean-Marie Barbe et Claire Simon devrait résonner comme la coopération entre Scorsese et Spielberg, au moins.

Le fils de l’épicière, le Maire, le Village et le monde nous montre toutes les grandes étapes d’un projet aussi pharaonique que semble être celui entrepris par cette petite équipe aux allures de startup. D’un point de vue purement technique d’abord. Avec le financement d’une structure gigantesque pour réunir tout le monde et stocker serveurs et administration. Aussi isolée soit-elle, la création d’une plateforme de cette envergure nécessite des mois et des mois de travail et d’investissement. À la fois budgétaire, mais aussi de temps. Le fondateur en pâtie d’ailleurs dans le film, mettant sa propre vie en jeu pour donner vie à son projet. Une chose que l’on ne pourra jamais lui reprocher est de ne pas vivre le documentaire. On y voit donc une équipe soudée malgré des différents qui les éloigne et une volonté aussi forte que celle qu’essaie de provoquer un documentaire.

Là où ce documentaire rejoint malheureusement brutalement la réalité est lorsqu’il devient un business à son insu. L’idée est magistrale, le projet ambitieux, la volonté inépuisable, mais ce n’est jamais suffisant pour y investir de l’argent. Alors que toutes les meilleures volonté du monde semblent répondre aux attentes du fondateur de la plateforme, dès lors qu’il s’agit de sortir le portefeuille, les langues se lient, les bouches se ferment et les yeux se lèvent vers le ciel. L’état lui-même semble assez désunis face à ce projet qu’ils sont à deux doigts de cataloguer comme problématique. Certes, une plateforme de diffusion de documentaire par abonnement, face aux majors que sont Netflix, Prime Vidéo ou Disney+ ne semble pas si alléchante que cela. Son existence est facteur de réel intérêt et pourrait servir aussi bien à l’éducation qu’à l’orientation de nouvelles passions. Tenk devrait pouvoir devenir un facteur de connaissances en France et une priorité d’accès pour le ministère de la culture. Mais ce n’est pas ce que montre le documentaire. Des investisseurs frileux, un état bien silencieux et peu disposé à aider et quelques corbeaux qui savent bien qu’ils peuvent en tirer quelque chose à moindre frais.

Résultat, ce qui sur le papier semble relativement simple et pourrait rapporter gros à bien des égards, s’avère in fine rempli d’obstacles et de faux amis dont il faut se méfier. Le procédé documentaire est, sans surprise, intéressant à suivre. Un sujet pourtant un peu bancal qui pourrait rapidement s’effondrer tel un château de carte par une petite bourrasque. Claire Simon réussit à en tirer le plus intéressant en y créant un certain rythme et en jouant habilement avec les différents enjeux et imprévus qui surviennent. Alors que le sujet est tout de même orienté, la réalisatrice parvient à le rendre beaucoup plus universel. On se surprend à suivre avec intérêt l’évolution de cette plateforme dont l’avenir n’était pas couru d’avance.

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