La Terre des Hommes : Une proie dans l’enclos.

Filmer les Hommes (les hommes ?) à hauteur de vie ; ni plus haut, ni plus bas : telle pourrait être l’ambition de La terre des hommes, le second long métrage du confidentiel (mais talentueux) Naël Marandin. Réalisateur déjà responsable d’un premier film élégamment naturaliste et sobrement intitulé La marcheuse qui tenait lieu dans les bas-quartiers parisiens de la prostitution clandestine, Naël Marandin a rejoint pour l’heure les contrées bourguignonnes afin d’y tourner un drame social d’une étonnante puissance revendicatrice, prenant comme toile de fond le milieu agricole du terroir voué à mettre aux enchères le bétail bovin dans le plus simple souci mercantile. Fable filmée sans fioritures, mais avec une infinie justesse, La terre des hommes retrace le combat de la jeune Constance et de son compagnon Bruno (respectivement interprétés par Diane Rouxel et Finnegan Oldfield, ndlr), trentenaires plein d’idéaux carriéristes aux portes du bonheur conjugal au moment où le film nous les présente, soit quelques jours (semaines?) avant leur mariage. Désireux d’investir dans l’exploitation agricole de la région et soutenu moralement par le père de Constance (Olivier Gourmet, encore une fois parfaitement crédible en éleveur bourru), le couple de futurs mariés sollicite assez rapidement l’aide financière de Sylvain Rousseau (Jalil Lespert), bureaucrate chargé d’étayer leur dossier…

Assez rapidement l’idylle suggérée par les vingt premières dudit métrage laisse place à une angoisse sourde pour le moins désarçonnante, montrant et se concentrant en priorité sur la figure de Constance, agricultrice tour à tour vulnérable et pleine de ressources devant presque coup sur coup essuyer un refus de subvention de la collectivité locale et les avances sexuelles et concrétisées de Sylvain, celui-ci abusant à tort et sans doutes un peu à dessein de la jeune femme. Point névralgique du récit, potentiel moment de bascule du film, la séquence de viol (car c’en est un, ni plus, ni moins) est à l’image de l’ensemble : hyperréaliste, dénuée d’outrances et proprement malaisante, ladite scène dérange par le quasi mutisme de Constance et par l’ambiguïté permanente de Sylvain, personnage de prédateur aux intentions troubles, hautement nuancé dans sa psychologie… Alors La terre des hommes semble moins un film sur le milieu agricole qu’un film sur un patriarcat représenté in situ, jouant sur l’essence de son intitulé pour mieux laisser son prétexte de départ en marge (mais jamais hors) de son propos. L’objet séduit par sa finesse, sa tonalité et son merveilleux sens du contrepoint (les moments consacrés au personnage de Bruno et à sa bande d’amis insufflent une douce amertume à l’ensemble) faisant la part belle à ses comédiens et comédiennes : ainsi Diane Rouxel porte entièrement la puissance morale du film sur ses épaules, habilement accompagnée d’un Finnegan Oldfield plus sympathique que jamais. En réfutant le spectaculaire et le racolage sans pour autant voiler malhonnêtement l’horreur vécue par Constance, Naël Marandin adopte la distance idéale à l’égard de son sujet, bénéficiant en outre d’une base scénaristique solide et d’enjeux itou.

Comme avec La marcheuse, le jeune cinéaste place ici l’argent au centre des préoccupations d’un humain meurtri et/ou perverti par des conflits d’intérêt dévastateurs. Il n’en brosse pas moins le portrait édifiant d’une femme-courage de pratiquement toutes les séquences, évitant admirablement le manichéisme tant redouté compte tenu du propos. Clairement personnel et doué d’authenticité, La terre des hommes fait montre d’un regard subtil sur un microcosme néanmoins révélateur des dynamiques sociétales contemporaines. De cette trajectoire inductive, Naël Marandin livre un drame naturaliste à la fois rude et paradoxalement chaleureux dans le même temps, rejoignant dans l’esprit un film tel que le Petit Paysan sublimé par Swann Arlaud ou encore le cinéma des frères Dardenne dans sa portée documentaire et fièrement pragmatique. Initialement présenté à la Semaine de la Critique du Festival de Cannes 2020 hélas annulé pour des raisons sanitaires évidentes, le deuxième film de Naël Marandin sera toutefois visible sur nos écrans à partir de ce mercredi 25 août… Une belle surprise, ni plus haute, ni plus basse.

1 Rétrolien / Ping

  1. La Terre des Hommes : Rencontre avec le réalisateur Naël Marandin. -

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*