Les Trois Visages de la Peur : Mario Bava au sommet de l’horreur

S’il fallait citer des réalisateurs italiens dont il est toujours aussi fascinant de découvrir le travail, le nom de Mario Bava reviendrait probablement souvent en tête de gondole, et à juste titre. Toujours en avance sur son temps, Bava a touché à tous les genres possibles. On lui attribue la paternité du giallo et du slasher, on lui doit des œuvres mémorables et son travail fait toujours l’objet de thèses passionnantes tant la richesse de son cinéma semble sans limite. De fait, lorsqu’on nous propose de découvrir un film (considéré comme culte, qui plus est) de Mario Bava, nous ne sommes jamais les derniers à accepter la mission. D’autant plus lorsqu’on nous le propose via un master tout beau tout propre supervisé sous la houlette du Chat Qui Fume ! Quand on sait combien l’éditeur est soucieux de proposer à sa clientèle le meilleur rendu possible, l’achat se fait les yeux fermés. Les Trois Visages de la Peur se (re)découvre ainsi dans une édition blu-ray au master absolument bluffant issu d’une copie 4K qui rend parfaitement justice aux couleurs vives employées par Bava.

Les Trois Visages de la Peur est un film à sketches composé de trois histoires qui mettent en scène une situation horrifique particulière. Le premier segment, Le Téléphone, nous met en scène le personnage de Rosy qui passera une nuit particulièrement éprouvante en étant harcelée au téléphone par un inconnu lui annonçant qu’il la tuera avant le lever du soleil. Le second segment, pièce centrale du film et pavé plus conséquent par sa durée, s’intitule Les Wurdalaks. Il raconte les déboires d’une famille dans une campagne slave en proie à un vampire bien déterminé à la décimer. Enfin, le troisième acte se prénomme La Goutte d’Eau. On y fait la connaissance de Miss Chester, une préparatrice de corps. Lors d’une soirée orageuse, elle est appelée en catastrophe par la servante d’une de ses patientes récemment décédée afin de l’habiller pour ses derniers sacrements. Miss Chester n’aurait peut-être pas dû voler la bague de la défunte…

Tourné et sorti la même année que La Fille Qui En Savait Trop, Les Trois Visages de la Peur confirme que Mario Bava était en pleine expérimentation. Si les historiens s’accordent à penser que La Fille Qui En Savait Trop est une œuvre fondatrice du giallo, on ne peut pas nier que son film à sketch est nettement plus représentatif des obsessions de son auteur. Tout comme pour La Baie Sanglante en 1971, Bava s’inspire des codes établis du genre pour les amener vers de nouveaux horizons. Avec ces trois histoires aux styles bien distincts, il déploie tous ses talents de visionnaire. Le premier sketch est un giallo à 200%. En l’espace d’une demi-heure, Mario Bava pose le décors et les codes qui vont parfaire le genre si cher à Dario Argento quelques années plus tard. Si l’on dénote des acteurs majeurs qui ont contribué aux codifications du giallo dans les années 60 (Mario Bava, Tinto Brass, Antonio Margheriti, Umberto Lenzi, Lucio Fulci), l’histoire retiendra l’année 1970 avec la sortie de L’oiseau Au Plumage de Cristal de Dario Argento comme avènement du genre. Seulement, la magie d’internet et des éditeurs passionnés comme Le Chat Qui Fume nous permettent, désormais, de constater que le giallo s’est construit bien avant 1970. 1963 est vraiment l’année de sa naissance avec les deux œuvres de Bava que nous avons cités en début de paragraphe. Le Téléphone est un sketch qui tourne le cinéma de genre italien vers l’avenir. Mario Bava n’en oublie d’y glisser un sous-texte où une amitié trouble vient côtoyer un amour lesbien tendancieux pour un triangle amoureux fracassant à l’issue horrifique inévitable. Avec ce segment, Bava inaugure son film sous un jour nouveau, s’adressant fièrement à la nouvelle génération de spectateurs de l’époque qui était en quête d’un renouveau. Mais comme Bava possède un code d’honneur bien précis et qu’il aime combler tous les membres d’une même famille, il va prendre le contre-pied inverse pour Les Wurdalaks.

Son second sketch est un hommage à peine déguisé aux classiques de la Universal et un joli clin d’œil aux films des studios Hammer qui faisaient légion au Royaume-Uni. Pour ce faire, il engage une figure mythique du film de monstre, Boris Karloff. D’ailleurs, Karloff introduira Les Trois Visages de la Peur comme ôte de soirée, tel le gardien de la crypte avant l’heure, il viendra poser son aura sur la bobine comme gage qualitatif. Les Wurdalaks permet donc à Karloff de se faire une petite place dans la mouvance vampirique et d’aller titiller les plates-bandes de Christopher Lee qui incarnait LA figure de Dracula dans les années 60. Avec ce sketch, Mario Bava revient à un style d’épouvante nettement plus traditionnel dans sa conception. Il flatte ainsi les vieux de la vieille venus retrouver les goûts des frissons d’antan. Enfonçant le clou du style gothique mêlé à l’imagerie bleue et rouge pétante propre au cinéma de genre italien, Mario Bava accouche d’un segment hybride malgré le classicisme de son histoire. On ne manquera pas d’y voir poindre de futures réminiscences spectrales qu’on retrouvera chez Fulci dans son cycle morts-vivants dans les années 80. Une fois encore, preuve que Bava a été d’une grande influence. Les Trois Visages de la Peur se conclura sur un dernier segment clairement orienté vers l’avenir où il prend une histoire de fantôme somme toute classique pour l’amener sur le terrain de jeu du giallo. La Goutte d’Eau achèvera l’œuvre sur les chapeaux de roue, faisant parfaitement le bilan des atouts des deux sketches précédents.

Si chacun des segments fonctionnent totalement en tant que tel, il y a une cohérence technique et artistique qui les lient parfaitement entre elles. Mario Bava était en pleine possession de ses moyens et prouvait avec ce film qu’il était en quête de renouveau. Ses ambitions artistiques lui ont permis de ne jamais être oublié tant l’amour du cinéma dégueule de chaque photogramme de son œuvre. Les Trois Visages de la Peur se pose comme pierre angulaire à la croisée des chemins entre le cinéma fantastique de l’âge d’or des studios américains et une future ère prolifique pour le genre en Italie qui accouchera de pépites plus frontales, plus sanglantes et où les sous-entendus (sexuels notamment) donneront lieu à des mises à mort graphiques comme on n’en avait jamais vu auparavant. Les Trois Visages de la Peur est disponible via une copie entièrement restaurée par Le Chat Qui Fume et s’impose comme une pièce maîtresse à posséder de toute urgence dans sa collection.

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