Kandisha : Candygirl au bloc 3

S’il y a bien un duo dans le cinéma de genre français contemporain qu’on prend plaisir à suivre depuis leur premier film, c’est celui d’Alexandre Bustillo et Julien Maury. D’un excellent À l’Intérieur en 2007 jusqu’au mal-aimé (et pourtant pas si mauvais) Leatherface en 2017, nos deux français sont toujours restés fidèles à leur ligne de conduite : faire le cinéma qu’ils aiment, avec les codes qu’ils aiment et qu’ils ont assimilé, forts de leur cinéphilie monumentale. Après leur expérience désastreuse qui leur a privé du final cut pour Leatherface, les deux amis sont revenus poser leurs caméras du côté du Plat Pays dans le but d’y tourner un petit film d’horreur inspiré d’une légende marocaine. Petit budget, mais grosses ambitions, ils ne se sont pas facilités la tâche puisqu’ils ont tourné, en parallèle, un second film. En effet, Kandisha et The Deep House ont été tourné pratiquement simultanément, obligeant les deux réalisateurs à se séparer parfois afin d’assurer le tournage de l’un et la pré-production de l’autre. Si The Deep House est sorti dans nos salles en premier, Kandisha devait, à l’origine, être proposé sur grand écran l’année dernière. La pandémie mondiale aura eu raison du film qui s’est retrouvé sur l’immense étagère des projets en attente de sortie. The Deep House s’est accaparé toute la lumière fin juin dernier, profitant d’une énorme promotion, ce qui lui a permis d’avoir une vie en salle plutôt honorable. Malheureusement, ce fut au détriment de Kandisha qui s’est vu relégué à la case VOD. Du propre aveu des réalisateurs, tant que le film peut être visible, c’est déjà une victoire. Avec la Palme d’Or réservée à Titane cette année, nous espérons avoir la chance de voir plus de projets tels que Kandisha dans nos salles. En attendant, c’est de notre canapé douillet qu’il a fallut apprécier le dernier bébé du duo Maury/Bustillo.

Trois amies d’enfance invoquent l’esprit de Kandisha, créature vengeresse issue d’une légende marocaine. Un jeu qui tourne au cauchemar lorsque leurs proches masculins se mettent à tragiquement disparaître dans d’atroces souffrances. Les jeunes filles vont alors faire tout leur possible pour essayer de contrer cette créature maléfique.

Comme mentionné dans notre introduction, Maury et Bustillo sont de vrais passionnés de films de genre. Pour Kandisha, l’idée est simple : d’une légende urbaine, ils vont convoquer tout le fantastique et l’urbain de Candyman. Pourquoi s’évertuer à inventer une recette qui a fait ses preuves ? Non sans singer Candyman, et c’est là qu’on reconnaît leur talent, les deux réalisateurs filment la banlieue avec un respect délicat (là où dans Candyman, la banlieue est un monde de mort et de désolation). Les personnages qu’ils dépeignent ici ne semblent pas subir leur quotidien, ils se montrent bien à leur place. Quand bien même le film situe son action au cœur des vacances d’été, et que l’ennui semble être le quotidien des héroïnes, il n’y sera jamais question de délinquance ou autres critiques sociétales propres à ce genre de film (encore qu’on pourrait y voir poindre une banalisation des disparitions quand on voit le peu d’implication des forces de l’ordre après chacune des morts, comme si le microcosme de la banlieue ne devait pas venir tâcher les hautes sphères). La banlieue est filmée avec soin, prenant le temps de contempler l’univers de vie des personnages. Il y a un vrai soin apporté à l’ambiance du film. Peu de films peuvent se vanter d’être aussi justes sur l’état d’esprit des banlieues, Kandisha le peut. Le cadre de vie prend tout son sens lorsque l’élément perturbateur fait son apparition. L’exclusion sociale du fait du milieu dans lequel vivent les héroïnes rend leur fardeau insupportable. Elles sont seules. Seules face à leurs problèmes, seules face à la menace. Elles seules devront trouver une solution. Le monde des adultes ne leur est pas ouvert. Il est, au mieux, inexistant, au pire, agressif. Il suffit de voir comment elles sont reçues lorsqu’elles demandent de l’aide d’un Imam pour faire partir l’esprit. Elles se font remballer comme de vulgaires enfants qui auraient fait une énorme bêtise qui les dépasse. Maury et Bustillo offrent une ode aux femmes fortes et un plaidoyer pour l’émancipation. Kandisha va bien plus loin que le simple « hide and seek » inhérents à ce genre d’histoire, il y a toute une analyse qui se dessine en filigrane et qui rend le film bien plus intelligent qu’il n’y paraît. Tout ceci en partie grâce à l’atmosphère soigneuse qui se dégage de la réalisation. Le béton n’avait pas renfermé autant de poésie cachée depuis La Haine, c’est une totale réussite technique.

N’oublions pas, également, de rendre justice aux effets visuels. Maury et Bustillo savent encore comment offrir des séquences puissantes et qui impactent les rétines à jamais (on ne se remet toujours pas des séquences dans le hammam et dans le salon familial d’une des héroïnes). Les réalisateurs n’ont pas perdu la main, Kandisha assure graphiquement, les spectateurs venus chercher des sensations fortes seront ravis. Seulement, le film pêche sur un détail qui a son importance : le jeu des acteurs. En voulant chercher l’authentique dans l’identification des personnages, Maury et Bustillo oublient d’être plus exigeants avec leur casting. Que c’est mal joué ! Grand Dieu, certains des acteurs méritent une statuette du jeu le plus risible jamais vu depuis des lustres. C’est vraiment dommage, parce que la force et les convictions sont présents, loin s’en faut, mais il est difficile de rentrer dans le film. L’acclimatation avec le jeu du casting sera le vrai effort qu’il faudra concéder à Kandisha si l’on veut en apprécier toute sa substance. Fort heureusement, tous les acteurs ne sont pas à jeter. Le problème de sous-jeu réside surtout au sein du groupe d’amis qui gravite autour des héroïnes. Et ces personnages ne servent, pour la plupart, que de chair fraîche à l’entité. Peut-être y a-t-il une ironie cachée sur le fait de voir mourir de mauvais acteurs ? Quoi qu’il en soit, ce sera l’affaire d’une vingtaine de minutes. Quand le film décide d’embrayer la seconde, on ne fait plus vraiment attention à ce problème tant tout devient passionnant à suivre. Et même s’il laissera une sensation de déjà-vu et un avis assez mitigé en fin de lecture, Kandisha est un film qui se digère. Il revient en tête comme un refrain accroché à notre esprit et se bonifie au fil des pensées. L’envie d’y revenir est là, signe d’une vive réussite ! La frustration provient surtout de l’épilogue qui fait une entorse impardonnable à ses propres règles dans le but de susciter une émotion vive. Si l’on comprend la démarche scénaristique, c’est dommage de ne pas avoir réussi à trouver une pirouette qui n’entache pas les règles posées en début de film.

Malgré ses quelques maladresses scénaristiques et le jeu bancal de certains de ses acteurs, Kandisha est une surprise solide et honnête. Julien Maury et Alexandre Bustillo fournissent un travail dans l’étroite lignée des meilleurs films fantastique du début des années 90 (Candyman en tête) avec un savoir-faire qui n’est plus à prouver. S’il ne mettra pas tout le monde d’accord, Kandisha demeure suffisamment correct pour susciter une vive attente du prochain projet du duo. Les deux amis commencent à avoir une filmographie aux influences variées, quel régal de les suivre dans leur projet. Fan, vous avez dit fan ?

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