Maléfique : Magie noire, Lovecraft et des taulards

Nous l’avons déjà évoqué plusieurs fois parmi nos divers papiers, mais 2003 a vraiment été une année charnière pour le cinéma de genre horrifique et fantastique français. Le début des années 2000 a vu émerger toute une ribambelle de jeunes réalisateurs ayant grandis avec des classiques du genre, ayant mangé de la série B par paquets de douze. Si le grand public garde Haute Tension d’Alexandre Aja comme référence clé, le genre a toujours été présent dans nos contrées. Moins populaire, certes, et moins visible également. Seuls quelques irréductibles de l’époque tels les allumés de chez Starfix Magazine osaient mettre en avant ce genre de cinéma et ont ouvert la voie à toute une génération de passionnés qui a décidé d’éclore à l’orée du troisième millénaire. Bien évidemment, le genre connaît toujours des obstacles, c’est un cinéma sur lequel on n’ose toujours pas miser. On ne nie pas qu’il soit mis un peu plus en avant désormais, avec, notamment, une presse dédiée (Mad Movies, L’écran Fantastique) ou une presse généraliste qui ne boude pas une occasion d’en parler (Close-Up, un peu d’auto-promo n’a jamais tué personne). Le genre français renaît également de ses cendres via le superbe travail d’éditeurs exigeants comme Le Chat Qui Fume ou également via le catalogue qualitatif de Shadowz. Tous ces médias savent une chose primordiale : le public de ce genre de films est un public de niche, mais terriblement amoureux. Voilà pourquoi nous chérissons tendrement les essais de nos réalisateurs francophones lorsqu’un projet parvient à voir le jour. Qu’il soit raté ou non ne nous empêchera jamais de soutenir le genre, parce que c’est en se libérant des carcans d’un système beaucoup trop centré sur des comédies potaches ou des drames sociétaux (non pas que nous blâmions ces genres que nous apprécions également) que nous continuerons à voir naître des réalisateurs et réalisatrices atypiques et qui chercheront à tout prix à nous sortir de notre zone de confort. Une zone qui, en 2003, aura été bousculée par deux films en particulier : le susmentionné Haute Tension et Maléfique d’Eric Valette. Bienvenue dans votre séance Shadowz de la semaine.

Carrère, chef d’entreprise, se retrouve en prison pour détournement de fonds. Il partage sa cellule avec Marcus, un culturiste qui souhaite devenir une femme, Pâquerette, un handicapé mental, et Lassalle, un bibliothécaire condamné pour le meurtre de son épouse. Carrère peine à s’intégrer au groupe, persuadé qu’une libération sous caution lui permettra de retrouver prochainement tous ses biens matériels, dans lesquels il inclut sa jolie épouse. Le patron déchut nourrit uniquement de l’affection pour son jeune fils. Un jour, une pierre se descelle d’une muraille de la cellule, dévoilant ainsi la cachette d’un vieil ouvrage manuscrit. Carrère en entame la lecture et apprend l’identité de son auteur, un dénommé Danvers, tueur en série détenu durant les années 1920. Outre les détails autobiographiques relatifs à l’assassin, le libre renferme plusieurs formules évoquant la magie noire. Sur l’insistance de Pâquerette, Carrère en prononce une, ce qui occasionne des phénomènes étranges.

Fraîchement débarqué sur la plate-forme, Maléfique (re)trouve une place de choix en terme de visibilité. Lauréat de plusieurs prix dont le Prix Spécial du Jury lors du Festival du Film Fantastique de Gérardmer en 2003, Maléfique est un film fantastique qui va puiser sa source au cœur du mythe de Cthulhu de Lovecraft. Si le célèbre auteur américain a souvent été cité comme une source d’inspiration de bon nombre de réalisateurs, le premier long-métrage d’Eric Valette ne prend pas ses éléments fantastiques à la légère. Le petit budget du film ne l’empêche pas de vouloir fournir un spectacle de qualité. Avec un ton extrêmement premier degré, il ne perd pas de temps à vouloir chercher le rationnel. Les personnages croient rapidement aux phénomènes qu’ils sont en train de se produire. De fait, le spectateur n’a d’autres choix que d’accepter les événements du film. Étendu sur 90 minutes, Maléfique pallie à ses petits moyens en dynamisant sa réalisation au plus haut point. Le film prend le parti pris d’un huis-clos quasi-constant, l’ennui ne guette jamais car les éléments fantastiques s’immiscent rapidement au sein du groupe. L’attention du spectateur est perpétuellement renouvelée. Nous sommes toujours avide d’en savoir plus, toujours en quête d’une réponse à chaque nouvelle problématique. Le pari était risqué puisque le décor est minimaliste au possible : deux lits superposés, une table, quatre chaises, un lavabo. En dépeuplant totalement la cellule des prisonniers, Valette attire notre attention, nous oblige à rester focus sur le moindre changement. L’œil est immédiatement attiré sur chaque élément qui sort du lot (un poster au mur, une serviette colorée, une apparition soudaine…). Valette nous transforme en enquêteur du paranormal, nous voulons absolument découvrir la clé du mystère.

Ce qui rend Maléfique aussi dynamique et captivant provient également de son casting aux petits oignons. Chacun des héros possèdent des traits de caractère bien spécifique. Si le film n’évite pas les poncifs caractéristiques, ce n’est que pour mieux nous permettre d’identifier les personnages rapidement afin d’entrer directement dans le vif du sujet. Maléfique n’a pas de temps à perdre quant à l’installation de ses personnages, il n’en a pas les moyens de toute façon. Attention, cela ne veut pas dire qu’il loupe le coche sur son ouverture, loin s’en faut. Seulement, Maléfique nous met dans la même position que Carrère : nous sommes de nouveaux arrivants dans une cellule et il va falloir composer avec les habitants de cette dernière, que cela nous enchante ou non. Pas besoin de savoir qui ils sont, ni ce qu’ils ont fait, nous le saurons tôt ou tard. Tout ce qui importe est de trouver sa place et de se rattacher à un but. Ici, le but commun de tous les membres concerne l’évasion. Qu’elle soit physique ou spirituelle, ils rêvent tous d’un lendemain au-delà des murs de la prison. Si tous les acteurs sont absolument fabuleux, on ne peut pas ne pas toucher un mot sur la prestation habitée de Clovis Cornillac. L’acteur lyonnais compose un personnage androgyne à mi-chemin entre les délires féminins de Leatherface époque Massacre à la Tronçonneuse : Nouvelle Génération et Angelo, son personnage de dur à cuir qu’il interprétera en 2007 dans Scorpion de Julien Seri. Sa quête d’identité sexuelle fait de Marcus, le personnage le plus tendre du film, car, sous sa carapace, il demeure le plus fébrile et fragile. A contrario de Lassalle qui, sous un mutisme apparent, est le héros le plus dangereux du film puisqu’il contient ce que les autres n’ont pas : le savoir. Hautement interprété par Philippe Laudenbach, Lassalle est inspiré de Louis Althusser, un philosophe qui a étranglé sa femme lors d’une crise de démence. Sa soif de connaissance jamais repue inspire la crainte puisqu’il comprend avant tout le monde que la connaissance sera la clé du salut de ses compagnons de cellule. Du fait d’intellectualiser les situations, Maléfique renverse l’invraisemblance de son aspect fantastique pour devenir un pur film de genre qui vient fièrement s’inscrire entre le body horror et la légende urbaine. C’est une vraie réussite. Maléfique joue brillamment avec toutes les cordes de son arc sans jamais avoir à rougir d’autres projets du même genre ayant un budget plus conséquent.

Maléfique fait parti des meilleurs films fantastique français de ces 20 dernières années. Le film n’a rien perdu de sa force narrative et les effets spéciaux, minimalistes et efficaces, rendent l’univers absolument cohérent. Eric Valette frappait très fort avec son premier film. C’est une véritable aubaine de le voir réapparaître au milieu du catalogue Shadowz dans lequel, nous en sommes persuadés, on lui réservera un accueil tonitruant et mérité.

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Article réalisé dans le cadre d’un partenariat avec la plateforme Shadowz.

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