The Big Goodbye : Forget it Jake, it’s Chinatown

Carlotta n’est pas seulement un éditeur vidéo au travail cinéphilique soigné et irréprochable, c’est aussi un éditeur de livres remarquables autour du cinéma. En 2019, on avait déjà beaucoup aimé le livre d’entretiens que Jean-Baptiste Thoret avait conduit avec Peter Bogdanovich. Et voilà que The Big Goodbye dont on attendait depuis un moment la traduction française (au moment où Carlotta annonçait la sortie du livre, on était prêts à acheter la version anglaise tant on trépignait d’impatience) a débarqué en librairies depuis le 24 juin dernier. Ecrit par Sam Wasson (déjà l’auteur du passionnant 5e avenue, cinq heures du matin sur le tournage de Diamants sur canapé), The Big Goodbye revient sur la genèse et le tournage de Chinatown. Et avec Sam Wasson à la barre, on pouvait être assurés que le livre allait être ultra-complet.

Après lecture de ses 350 pages se dévorant comme un polar, on vous le confirme : le travail de recherches effectué par Sam Wasson est colossal. L’auteur ne nous épargne rien de tout ce qui a permis la naissance de Chinatown, l’un des plus grands films noirs de l’histoire du cinéma dont le scénario est considéré comme l’un des meilleurs jamais écrits (et régulièrement analysé sous toutes ses coutures). Pour expliquer Chinatown, qui est avant tout un état d’esprit, Wasson décortique tout et nous livre une enquête complète autour du processus créatif d’un film. Son enquête tient essentiellement sur quatre protagonistes : Robert Towne, scénariste tourmenté qui rêve de faire du film un hommage à un Los Angeles disparu et qui y voit sa chance de réellement percer ; Roman Polanski, hanté par la mort de Sharon Tate et dont le retour dans la ville le ramène à ses démons ; Jack Nicholson, acteur alors au sommet dont le sens indéfectible de la loyauté envers ses amis est aussi solide que ses relations amoureuses sont instables et Robert Evans, producteur auréolé de succès chez Paramount, passionné par le cinéma et réellement désireux d’apposer sa marque sur un film dont il a l’initiative. Des artistes torturés, dévoués à leur art mais également fragilisés par le passé, dévorés par l’ambition et les doutes dont Sam Wasson fait le portrait complet, à grand renforts de différents témoignages sans jamais verser dans l’hagiographie, livrant au contraire les nuances et les zones d’ombre de ces hommes sans qui le film n’aurait pas été possible.

Roman Polanski, John Huston et Jack Nicholson sur le tournage

De l’écriture du scénario (laborieuse et douloureuse pour Robert Towne car comme le dit Wasson dans le livre, le scénariste rêve le film, le boulot du réalisateur est de le réveiller) dont la fin n’était pas encore écrite au moment du tournage à la production émaillée de tension (notamment entre Polanski et Faye Dunaway), The Big Goodbye nous dit tout et offre le témoignage le plus complet existant autour du film qui n’aura désormais plus de secrets pour nous. Mais non content d’être un vivier d’anecdotes passionnantes, le livre est aussi le portrait d’un Hollywood perdu à jamais. 1974, l’année de production de Chinatown est en effet une année charnière, la dernière avant que le Nouvel Hollywood ne change peu à peu ses méthodes pour une course au profit de plus en plus gourmande. En effet, en 1974, on produisait encore des films de cinéma au nom de l’art. Robert Evans, aussi ambitieux et parfois interventionniste qu’il fût, ne pensait qu’à une chose, la réussite artistique du film. En 1975, quand Les Dents de la mer débarque sur les écrans, la stratégie des studios change : on mise désormais plus d’argent dans le marketing et dans la publicité autour du film que dans son contenu. Les moyens alloués à la pré-production des films sont réduits et les cadres de la télévision ne pensant qu’au profit arrivent à la tête des studios (c’est toujours le cas aujourd’hui où quasiment plus personne à Hollywood ne parle de cinéma pour simplement parler argent).

Jack Nicholson et Robert Evans sur le tournage

1974 est donc une année cruciale, la dernière peut-être à bénéficier d’autant de liberté artistique au sein des gros studios. Le livre, racontant l’histoire d’un film nostalgique à propos du Los Angeles du passé, finit par rejoindre son sujet en racontant avec nostalgie un Hollywood disparu à jamais où des contrats se faisaient par poignées de main dans la résidence de Robert Evans, où les acteurs ne réclamaient pas encore des millions pour faire des films, où l’on faisait tout par amour de l’art, où le souci de faire un bon film était plus important que de faire un film qui fonctionne au box-office. Sam Wasson nous conte avec nostalgie cette époque révolue sans pour autant en masquer ses démons et ses excès. The Big Goodbye est donc plus que le récit d’un film, de même que Chinatown est plus qu’un simple film noir, c’est l’histoire d’une ville, d’une époque, de figures du passé sur lesquelles on fantasme. En ne nous épargnant rien du processus créatif et des conflits d’ego autour du film, Sam Wasson fascine et livre une enquête passionnante permettant de comprendre combien la réussite d’un film doit à beaucoup d’éléments et de personnes qui, rassemblés, doivent former une alchimie parfaite en vue de réussir à livrer une œuvre marquante et intemporelle. On savait que Chinatown était de ces films-là, on sait désormais pourquoi sans pour autant que la magie entourant le film ne se soit évaporée, c’est sa puissance et c’est dire combien Sam Wasson a du talent.

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