Le Pont de Remagen : Du bon cinéma de Papa

Rimini Editions exhume du catalogue MGM/United Artist un grand film de guerre s’étant fait oublier avec les années. Et pourtant, à chaque édition ou diffusion, on y revient indéniablement par pur plaisir. Le Pont de Remagen est un sacré divertissement dans la plus pure tradition des films de guerre qui pullulaient dans les années 1960 comme des films de super-héros dans les années 2010. On revient toujours vers ce film, car il est un pur divertissement jamais plombant par une trame trop historique. Couvrant un moment fort de la fin de la Seconde Guerre Mondiale avec ce pont de Remagen, dernier passage valable pour rejoindre Berlin pour les Américains, le film est une proposition enlevée au casting modeste. Pourtant, rien n’a empêché le film d’être multi-diffusé sur le câble entre Ciné-Classics ou RTL9 où adolescent, nous avions pris beaucoup de plaisir à le revoir pendant les étés en famille. Blockbuster désuet aujourd’hui, le film de John Guillermin bénéficie d’une cure de jouvence en Haute-Définition via les bons soins de Rimini Editions, après une unique parution en DVD en 2003, notamment une édition dans la collection Les Plus Grands Films de Guerre squattant toujours notre filmothèque.

Le Pont de Remagen fait partie de la longue liste de films produits dans le courant des années 60. En aval des films propagandes avec John Wayne et autre Jour le Plus Long, le genre a connu un second souffle suite au succès des Douze Salopards de Robert Aldrich. Dans la foulée, les Italiens ont enchaîné une pelletée de copies quand Hollywood a revu son approche du genre. Revival bénéfique pour la consommation cinéma qui permet le divertissement avec des produits moins démagogiques où le spectacle prend le pli avec par exemple Quand les Aigles Attaquent avec Richard Burton et Clint Eastwood ou encore De L’Or pour les Braves toujours avec ce cher Clint et Telly Savalas.
Le Pont de Remagen se situe dans cette mouvance en étant un film hybride relatant un fait historique de cette tragique guerre tout en mettant en avant une troupe solidaire de soldats sous le commandement du Lieutenant Phil Hartmann. Des soldats rescapés d’un long conflit au bout du rouleau, pétris de fatigue ne pouvant à peine bénéficier du moindre répit souligné par la séquence de la prison. Scène révélatrice des limites d’une troupe qui fera preuve de courage malgré la tragédie qui se jouera pour la plupart sur le pont. Esquissé au mieux, on s’appuiera sur quelques tronches pour s’y attacher dans leurs péripéties au bord du Rhin. Seules les deux figures incarnées par George Segal et Ben Gazzara seront un peu mieux mises en valeurs, stars d’un film essayant de coller au mieux à l’histoire justifiant un casting modeste. Ainsi, chaque acteur a le même âge des personnages incarnés malgré le changement des noms faute de droits dans la volonté d’éviter quelques procès à la production.
Cette fameuse production qui, pour alléger les coûts, installera son tournage en Tchécoslovaquie, alors en plein Printemps de Prague. Le tournage devra s’arrêter et être expatrié notamment en Italie après l’invasion du pays par la Russie et autre signataire du Pacte de Varsovie justifiant leurs attaques par la présence du tournage avec les répliques utilisées du matériel de la Seconde Guerre entre Américains et Allemands accusant la présence d’espions au sein du tournage. Un camouflet pour la production dont certains membres et autres acteurs devront s’enfuir du pays en Taxi. Un potentiel film dans le film. 

Le Pont de Remagen est une grande aventure tant par sa production mouvementée que par le résultat obtenu par John Guillermin. Réalisateur star d’une époque bénie pour le cinéma, John Guillermin est un réalisateur anglais de parents français ayant sévi rapidement à Hollywood. Mort en 2015, il a commencé sa carrière dans les années 1950 avec quelques productions anglaises assez mineures. Puis il commence à opérer sur des productions mettant en valeur le personnage de Tarzan sous le physique de Gordon Scott. Deux films plus tard, il signe Les Canons de Batasi puis Le Crépuscule des Aigles avec George Peppard, deux films de guerre réputés. Il retrouvera l’acteur de L’Agence Tous Risques pour deux thrillers sortis en 1968 avant la production du Pont de Remagen qui lui ouvrira grandes les portes des studios. Il enchainera l’année suivante avec une production André De Toth sur un scénario de Larry Cohen, El Condor, film d’aventure mettant en vedette Jim Brown et Lee Van Cleef avant l’explosion de La Tour Infernale et son casting étoilé en 1974. Fait de gloire notable avec ce film catastrophe populaire, sa carrière ira en deçà après le triomphe de la relecture du mythe King Kong pour Dino De Laurentiis, réussite primate devenue œuvre phare pour une certaine génération. Guillermin se perdra bien malgré lui dans la mise en scène de sa suite débile en 1986, après avoir dirigé Peter Ustinov en Hercule Poirot dans sa fameuse enquête sur le Nil ou retrouvé les plaisirs exotiques de la jungle avec les aventures de Sheena.

John Guillermin était un réalisateur tout terrain, malléable par une production qui en tirait la plupart du temps le meilleur dans sa capacité à opérer des longs-métrages efficaces. Réalisateur de grands divertissements de cinéma, Le Pont de Remagen en est un exemple typique réussissant à tirer le meilleur de son scénario et de ses personnages pourtant fort classiques. Exemple fait du Sergent Angelo qui se démarque par la défroque d’un insolent Ben Gazzara pillant les morts nazis et opérant de multiples paris. Trouvant une belle complémentarité avec George Segal dont le personnage porte le poids des pertes de sa troupe et d’une guerre interminable, le final du film trouve une lumière bienvenue entre faits de gloire et amitiés.
Faits de gloire, car John Guillermin enchaîne avec brio les séquences d’action fluide et violente entre la prise d’une ferme ou les différents échanges lors de la dernière heure du film pour la prise du pont. Des moments de suspense intenses mettant face à des Allemands en perdition qui trouvent l’espoir dans le personnage incarné avec droiture par Robert Vaughn. Belle tronche de cinéma, il incarne brillamment ce Major SS croyant péniblement en les chances de son armée par naïveté. Attachant malgré tout, il bénéficie de son aura de vedette américaine pour un rôle à la langue anglaise où le moindre manichéisme n’a plus lieu d’être. Le long-métrage fait en effet le portrait d’hommes jetant leurs dernières forces dans une dernière mission presque suicide pour garder la tête haute. Elle restera justement vers le haut pour le Major Kruger (Robert Vaughn) pour une séquence finale déchirante en dépit de sa posture de nazi. Homme au départ blessé se réhabilitant dans cette mission officieuse et humaine faisant face à la débâcle politique et militaire d’un Hitler paranoïaque assassinant ses troupes. Le film a en cela une approche intéressante avec la vision rivale de cette mission commune de sauver le pont pour d’un côté sauver les 75 000 soldats allemands coincés sur l’autre rive avant de détruire le pont et de l’autre mettre une bonne fois pour toutes fin à la guerre et atteindre Berlin. Le Pont de Remagen n’est pas ce petit film de guerre anecdotique face aux grosses machines propagandistes produites au préalable. Le long-métrage de John Guillermin est une œuvre commerciale moderne avec une vision humaine d’un événement romancé pour les besoins du film collant au mieux malgré tout à l’histoire. Du cinéma de consommation certes, mais du cinéma bien fait.

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