Bonne Mère : Chic et peuchère

Hafsia Herzi… Ce nom évoque aujourd’hui bien des choses, une sorte de mélange de charme plantureux et de tempérament méridional soutenu par un franc-parler reconnaissable entre mille. Il évoque encore et toujours celui de l’actrice consacrée de La Graine et le Mulet de Abdellatif Kechiche, petit chef d’oeuvre des années 2000 parachevé par une danse du ventre à l’érotisme quasiment haptique, danse à laquelle la comédienne s’est adonnée pour mieux clouer le spectacle d’un drame familial aux allures de saga estivale. Il évoque par ailleurs celui d’une réalisatrice prometteuse déjà responsable d’un premier long métrage remarquable et remarqué : l’efficace et intimiste Tu mérites un amour, petite grande réussite de 2019 pour laquelle la jeune femme s’est retrouvée des deux côtés de la caméra, jouant de l’héritage vériste de son mentor (Kechiche, de fait) tout en y apposant un univers ainsi qu’une sensibilité bien à elle. Présenté dans la section Un Certain Regard du Festival de Cannes de cette année, son deuxième long-métrage sort donc aujourd’hui dans les salles obscures sous le titre éloquent et pittoresque de Bonne Mère, petit morceau de cinéma truculent duquel Hafsia Herzi s’est pour cette-fois absentée de la scène et du feu des projecteurs, préférant pour l’occasion se cantonner uniquement au rôle de réalisatrice…

Récit du quotidien mêlé d’ombres et de lumière de Nora – une femme aguerrie partagée entre une famille nombreuse rêvant de faste et d’argent facile et un emploi modeste et pour le moins précaire de technicienne de surface – Bonne Mère retranscrit, du haut de ses cent petites minutes de métrage, tout le sel provençal d’une communauté nord-africaine au naturel communicatif. De la même façon que Philippe Faucon pour son mémorable Fatima, Hafsia Herzi tire avec Bonne Mère le portrait d’une véritable mère-courage, figure arborant une dignité n’ayant d’égale qu’une humilité de tous les instants. Avec un regard proche du documentaire (lumière dénuée de sophistication, cadrages collant au plus près des sujets filmés, absence de musique extra-diégétique, etc…) Hafsia Herzi suit donc les traces du cinéma naturaliste et plein d’appétence de Abdellatif Kechiche, en jouant davantage sur les enjeux dramatiques articulés autour de ses nombreux personnages : entre un fils reclus en prison suite à son penchant pour le traficotage, un autre flânant et crânant à qui mieux mieux et une fille peu soucieuse de sa progéniture, Nora fait figure de blanche colombe dont la vertu s’exprime jusque dans sa réserve et sa tempérance tour à tour meurtrie et assumée… La spontanéité et la simplicité de cette protagoniste se voient littéralement sublimées par la saisissante (et pourtant non-professionnelle) Halima Benhamed, portant largement la grande efficacité du second long métrage de Hafsia Herzi.

Si l’ensemble proposé par la jeune cinéaste tient moins du tour de force que du morceau de cinéma indépendant tout à fait honorable, il fait montre d’une cohérence à la fois sans surprise (le film ressemble énormément, en esprit du moins, au précédent Tu mérites un amour…) et proprement salutaire. Fluide et efficace, Bonne Mère joue sur les deux facettes d’un microcosme en proie à une pauvreté de plus en plus inévitable à mesure que le film avance : rayonnant et trouble, plein de vie et plein d’amertume, ledit métrage se fraye un chemin dans les milieux interlopes d’une région cultivant le deal et la prostitution féminine, échappant miraculeusement au pathos et au travers si facilement empruntable du misérabilisme social. En deux longs métrages Hafsia Herzi nous prouve qu’elle représente bien davantage que l’égérie kechichienne tant vantée par le public et la critique depuis près d’une quinzaine d’années maintenant : elle fait désormais figure de formidable réalisatrice en herbe, auteure d’un cinéma énergique et réaliste tout à la fois captant l’humanité de ses sujets avec justesse et subtilité. Une cinéaste qu’il faudra donc, qu’on le veuille ou non, suivre de très près…

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