Green Room : Nazis punks, fuck off !

C’est déjà pratiquement le milieu des grandes vacances et les équipes de Shadowz entendent ne pas relâcher leurs efforts afin de fournir nos soirées estivales en programmes de qualité. Ajout de taille cette semaine au sein du catalogue, le surprenant Green Room, survival horrifique réalisé par Jeremy Saulnier qui avait été présenté à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes en 2015, deux années après être reparti de cette même Quinzaine avec le Prix FIPRESCI pour Blue Ruin. Un troisième long-métrage qui était très attendu de la part d’un public conquit par Blue Ruin. De plus, nous ne savions pas encore que nous assistions à l’un des tous derniers rôles d’Anton Yelchin. Green Room possède donc cette amertume supplémentaire puisqu’il offre, en quelque sorte, un rôle « testamentaire » à sa tête d’affiche. Une raison de plus pour vous (re)plonger dans ce film d’horreur plus atypique qu’on ne le croit. Bienvenue dans votre séance Shadowz de la semaine.

Au terme d’une tournée désastreuse le laissant sans le sou, le groupe de punk rock, The Ain’t Rights, accepte, au pied levé, de donner un dernier concert au fin fond de l’Oregon dans un squat tenu par des néo-nazis. Après leur passage sur scène, alors qu’ils retournent en backstage, les membres du groupe tombent sur un cadavre encore chaud et deviennent alors la cible du patron du club et de ses sbires, plus que jamais déterminés à éliminer tout témoin gênant.

Malgré sa courte filmographie, nous commençons déjà à voir poindre un style de mise en scène propre à Jeremy Saulnier. Le réalisateur se complaît à dépeindre des univers désolés, où la froideur des éclairages font baigner ses personnages dans une folie permanente. Il aime faire avancer ses héros sur le fil du rasoir, toujours au bord de l’explosion. Green Room ne déroge pas à cette règle, bien qu’elle soit nettement plus frontale dans son approche et moins viscérale puisque le groupe sait délibérément où il met les pieds. Pour Green Room, Saulnier adopte un point de vue narratif différent. Il ne cache pas au spectateur qu’il va enfoncer ses héros dans une folie destructrice, ils y sont déjà, plus ou moins. L’explosion est imminente, dès l’introduction du film. Même si l’ambiance se veut atmosphérique, notamment par l’utilisation d’une bande-originale qui s’y prête, ce n’est que pour mieux nous renvoyer le revers de la médaille lorsqu’il laisse parler la rage de ses héros au travers leur musique. Ses héros sont des marginaux, des écorchés vifs, des punks qui tentent de survivre. Saulnier n’en fait pas des anti-héros et ne se cache pas uniquement derrière la figure des antagonistes pour générer un capital sympathie forcé. Bien qu’il soit difficile de faire pire antagoniste qu’un skinhead néo-nazi, les héros de Saulnier reflètent tout un pan systémique d’une Amérique fatiguée, d’une Amérique laissée pour compte, d’une Amérique malade. Saulnier n’y fait pas que s’affronter deux clans aux idéaux opposés, il offre une lutte des classes à bien des égards. Green Room est véritablement un film d’horreur politique, un survival vraiment pas comme les autres qui va plutôt lorgner du coté d’un discours à la John Carpenter que d’une production à la Jason Blum. Son étiquette « auteurisante » fort de son label cannois ne lui fait pas de l’ombre pour autant puisqu’il ravira autant le spectateur pointilleux que celui à la recherche de simple divertissement. Green Room assure totalement question hémoglobine, il y en aura vraiment pour tout le monde.

Green Room repose également sur un rythme classique en trois actes, qui a fait ses preuves dans les années 80, et qui prouve qu’on peut maintenir une tension constante sans être obligé de basculer dans la surenchère dès le premier quart d’heure. Cette qualité, Saulnier la doit à son casting merveilleusement choisit. Si Anton Yelchin nous prouve qu’il manque au cinéma de divertissement, on ne peut pas ne pas mentionner l’immense interprétation de Patrick Stewart. Dans un rôle totalement à contre-courant de son registre de prédilection, l’acteur britannique déploie une composition à faire pâlir un mort. Terrifiant dans l’incarnation du gourou néo-nazi organisant son business en lavant le cerveau de ses partisans, leur demandant de se blesser intentionnellement afin de masquer un crime aux yeux des policiers, véhiculant une propagande antisémite vomitive sous couvert de trafics d’armes et de stupéfiants…il incarne une idéologie diabolique avec une conviction sans pareil. Stewart se révèle à nous comme l’un des antagonistes les plus malfaisants que le cinéma d’horreur ait eu ces dernières années. Chaque scène où il apparaît amène son lot de surprises, on ne sait jamais jusqu’où il est capable d’aller afin de servir ses intérêts. Pour tenter de le contrer, Anton Yelchin retrouve sa partenaire du remake de Fright Night, Imogen Poots. Cette dernière offre la prestation la plus torturée du récit. Elle incarne la croisée des chemins, la rencontre entre les idéaux nazis et punks. Toute la lutte symbolique des classes émise par Saulnier se voit dans la figure incarnée par Poots. Bien qu’elle ne soit pas, à nos yeux, le personnage féminin le plus intéressant du récit (on lui préfère largement la guitariste du groupe incarnée par la flamboyante Alia Shawkat), on ne peut pas nier le fait que Saulnier tente quelque chose avec elle. Au-delà de ce que représente une green room en tant que telle (une green room est assimilée à une sorte de loge dans laquelle les artistes se retirent avant de monter sur scène), Imogen Poots devient la balance entre le bien et le mal dont est témoin la pièce. Imogen Poots devient la green room et se coordonne parfaitement avec les actions qui se joueront dans la pièce. Elle évoluera au fil des situations. La pièce, d’abord lieu de vie, devient lieu de mort, puis lieu de survie, pour ne devenir que chaos et néant. C’est très intéressant de voir l’évolution de Poots au fur et à mesure que les actions se profilent. Saulnier lui voue une sacré responsabilité, elle l’endosse avec une aisance déconcertante.

Vous l’aurez compris, Green Room est autant un brûlot anti-nazi qu’il condamne également l’abandon d’un pays envers sa jeunesse censée représenter l’avenir. Si tout ne semble que nihilisme et fatalisme au long du récit, il se profile une conclusion loin d’être bête en fin de parcours. Par-delà les aspects graphiques qui raviront les fans d’affrontements sanglants, Green Room amène une réflexion sur la condition des « underdogs » qui frappe directement les classes sociales aisées dans les parties douloureuses. Green Room est un doigt d’honneur majestueux envers une institution gangrenée de l’intérieur. Une claque à côté de laquelle il serait dommage de passer.

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Article réalisé dans le cadre d’un partenariat avec la plateforme Shadowz.

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