Profession du Père : Une époque pas si formidable

Jean-Pierre Améris est un réalisateur apprécié depuis sa découverte avec Les émotifs anonymes sorti en 2010, long-métrage qui marque par sa rencontre avec Isabelle Carré et Benoît Poelvoorde. Il retrouvera l’actrice pour les besoins du merveilleux film, Marie Heurtin en 2014, puis Benoît Poelvoorde en deux fois avec Une Famille à Louer et Profession du Père en salles le 28 juillet 2021. 
Améris est un metteur en scène aguerri et polyvalent, notamment entre la comédie et le drame. Certaines propositions brouillent les pistes notamment Je Vais Bien, Une Famille à Louer (drôlement mal vendu à sa sortie par le distributeur) ou Profession du Père, histoire profondément tragique sur une époque française et une famille des années 1960.

Le père du titre est donc incarné par Benoît Poelvoorde, acteur bavard et volubile qui se ferme avec ce rôle de patriarche assez trouble. Un personnage obscur qui narre des récits aventureux à son fils pour mieux l’entraîner dans sa confrontation avec le pouvoir français en place et les tumultes que connaît la France avec l’Algérie. Le film se déroule en 1961 et certains voient d’un mauvais œil l’abandon de l’Algérie. Le récit se déroule à Lyon principalement au cœur d’un bel appartement où le père erre laissant ses idées contre le général de Gaulle s’imposer dans sa tête. Améris pose sa caméra à hauteur de ce fils qui regarde ébahi son père se lancer dans des divagations extrêmes le transportant dans des souvenirs dont le degré de fantasmes ne sera jamais révélé.
La grande force de Profession du Père est la position adoptée par ce regard d’enfant que Jean-Pierre Améris ne quittera jamais. Il suivra vaille que vaille cette posture de mise en scène réussissant à capter la candeur de ce môme de 12 ans faisant face à ce père à qui il souhaite plaire. C’est l’amour pour ce père déviant vers la folie qui va l’emmener à exhorter sa propre imagination et y adhérer. Notamment quand un petit pied noir arrive dans sa classe, ami qui va se souder malgré lui à ses pérégrinations irréelles et se perdre un 31 décembre. 

Avec cet enfant unique se nouant à ce père toxique brillamment incarné par Benoît Poelvoorde dont Jean-Pierre Améris tire toujours le meilleur, Profession du Père nous conte les maux de cette société française des années 1960 entre l’OAS et la révolte qui s’opère contre le pouvoir en place. Cela débouchera sur des attentats envers les politiques, notamment Charles de Gaulle. La télévision est présente pour nous inscrire dans ces faits terroristes avec ce père sans profession qui invective l’écran s’enfonçant dans sa paranoïa.
Face à lui, Audrey Dana est la mère soumise se taisant aux maux de ce mari puissant, mais fou. L’actrice est formidable trouvant sa place – loin d’être simple – au sein de cette famille qui se décompose. La caméra reste toujours du point de vue d’Émile incarné par Jules Lefebvre, brillant bonhomme faisant face à Poelvoorde, monstre sacré du cinéma franco-belge, ne se démontant pas malgré les coups de ceinture. Il faut appuyer le fait que Jean-Pierre Améris orchestre le tout avec précision happant dans ce contexte fort, loin d’être embrasé par le cinéma français, mais dont on commence à prendre les marques. Profession du Père en est une première incursion brillante prenant socle dans le roman violent de Sorj Chalandon, autobiographie sur une enfance salopée par un père violent et fou. Jean-Pierre Améris s’y accroche trouvant quelques échos à sa propre enfance s’inscrivant au cœur de ses familles discrètes, taiseuses des maux les empoisonnant à jamais. Le long-métrage capte ses vies, ce quotidien et cette époque à la perfection, et ce avec peu de choses. Des coins de rue, un parc, des intérieurs d’appartements et une classe pour des années 1960 en France sous le joug d’une société en mutation s’émancipant des colonies et d’une quatrième république commençant à percevoir sa fin de vie. 

Jean-Pierre Améris signe un film brillant qui n’est pas une comédie. Profession du Père est le drame d’une vie de famille vivant au gré de la folie d’un père extrême par son patriotisme et la paranoïa qui s’en dégage. La folie emporte le fils vers des péripéties malencontreuses et tragiques dont le réalisateur capte à merveille la représentation et sa perspective. Cela procure un sentiment singulier à cette proposition forte pouvant laisser certains sur le carreau. Le réalisateur de Je Vais Bien prouve de nouveau sa polyvalence dans le style, les époques et le genre employé pour les besoins d’un film, adaptation d’un roman marquant, qui offre un rôle complexe à Benoît Poelvoorde et l’une des séquences finales les plus vives perçues au cinéma. Bouleversant.

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