German Angst : 3 extrêmes berlinois

Pas de vacances pour Shadowz qui vous prépare un été aux petits oignons. Pour cette nouvelle séance Shadowz, nous avons voulu mettre en lumière un film que nous avons longuement fantasmé après les retours de festivals et diverses chroniques entendues un peu partout. Pour la première fois depuis des années, nous avons retrouvé la sensation qui nous habitait lorsque nous vidions littéralement toutes les allées de notre vidéo-club durant notre enfance afin de dénicher la pépite qui nous marquerait à jamais. Cet engouement est difficile à retranscrire tant il est propre à notre vécu et notre sensibilité, mais il donne définitivement ses lettres de noblesse à comment nous voyons cette chronique hebdomadaire. Notre séance Shadowz, outre le fait d’honorer notre partenariat avec la plate-forme, est une manière de vous refaire vivre ces fameux week-ends entre amis ou en famille autour d’un plateau-repas à se délecter de la dernière VHS obscure louée quelques heures plus tôt. German Angst se traîne une réputation de film dur, radical et sans concession. La plupart des critiques avertissaient sur le fait qu’il n’est pas à mettre devant tous les yeux. On le présentait comme un film au ton froid, austère et aux images crues. Autant d’adjectifs qui ont nourrit un certain fantasme dans notre esprit et qui est enfin devenu réalité puisqu’il est désormais disponible via Shadowz.

German Angst est une anthologie de l’horreur. Un film à sketches. Trois segments réalisés par trois réalisateurs allemands avec pour seul fil rouge : Berlin et ses angoisses. Le premier sketch s’intitule Final Girl et est réalisé par Jörg Buttgereit (probablement le réalisateur le plus connu du trio) et s’attarde sur une jeune fille séquestrant des hommes responsables de violences envers les femmes. Le second segment, réalisé par Michal Kosakowski, se nomme Make a Wish. Il nous raconte l’histoire d’une amulette magique ayant sauvé une petite fille polonaise pendant la Seconde Guerre Mondiale. Cette dernière retrouve ses pouvoirs magiques de nos jours lorsqu’un couple est victime d’un groupe de néo-nazis. Enfin, le troisième sketch, segment le plus long du film, s’intitule Alraune et est réalisé par Andreas Marschall. Un homme accepte de suivre une jeune femme dans un club privé dont l’adhésion est définitive.

German Angst (angoisses allemandes, pour les non-anglophone) est une anthologie qui ne ment pas sur la promesse qu’elle fait. Dès son ouverture, toutes les obsessions graphiques de Buttgereit sont présentes. Le réalisateur, célèbre pour avoir été l’instigateur des deux films Nekromantik, offre une déconstruction de la psyché adolescente comme unique moyen de justice face à la violence des hommes. D’un postulat de base classique (une adolescente dans un appartement se prépare à régler son compte à un homme), il déconstruit le rapport de l’adolescente à la nature humaine par un discours en inadéquation avec la banalité de ses gestes. Elle se lève, prend soin de son cochon d’inde, se sert des céréales… Et dans la continuité de sa routine matinale, elle s’arme d’une paire de tenaille, entre dans la chambre parentale (nous laissant découvrir un homme ligoté sur le lit) et se charge de lui faire mal avec autant de flegme qu’un brossage de dents. Buttgereit nous plonge au cœur d’une analogie réduisant les prédateurs sexuels à des cochons d’inde que l’on castre littéralement afin de les rendre docile. Il nous offre un cours sur la castration animalière en voix-off, servie par le regard vide de son actrice, avec des images graphiques insoutenables. Les métaphores pleuvent dans tous les sens, difficile d’en tirer toute la substantifique moelle au premier regard. Final Girl n’est pas un titre pris au hasard d’ailleurs (on appelle final girl, dans un film d’horreur, la dernière victime, l’ultime survivante qui fait face au tueur) puisque son segment se vit comme une finalité inéluctable à des actes passés qu’on ressent comme extrêmement barbare. Buttgereit nous plonge dans un moment particulier, tout n’est pas perceptible et le rythme lancinant risque d’en perdre plus d’un. Mais la beauté plastique et la réalisation au cordeau mettent en bouche pour la suite du programme qui, si vous n’êtes pas préparés, risque de vous retourner l’estomac.

Make a Wish est la partie qui sera la plus dure (de notre point de vue) à regarder. Michal Kosakowski (dont sa société de production produit German Angst) propose un regard incisif sur les traumatismes de la Seconde Guerre Mondiale, la cruauté des nazis et leur héritage de nos jours. On y suit un couple polonais, sourd-muet, en train de visiter un immeuble berlinois désaffecté. L’homme offre une amulette à sa compagne et lui raconte qu’elle a aidé sa grand-mère à survivre aux nazis pendant la guerre puisqu’elle aurait le pouvoir d’y faire changer deux âmes avec deux corps. C’est alors que débarque un groupe néo-nazi bien décidé à leur faire du mal. Ce chapitre est raconté en deux temps. Tout d’abord le flashback en Pologne avec le massacre de la famille de l’homme où il sera difficile de passer à côté des images graphiques qu’on se prendra en pleine face. Personne n’est pardonné, pas même un bébé. On préfère vous avertir, c’est une séquence à la barbarie sans nom, qui dénonce les ignominies nazies sans aucune concession, mais qui va falloir sérieusement encaisser. Soyez donc prévenus ! Puis, le retour dans le présent se fera dans une douleur égale aux horreurs du passé. L’héritage historique des élites SS qui continuent de vivre par le prisme d’une jeunesse totalement pervertie fait terriblement froid dans le dos. Si l’aspect fantastique via l’amulette semble être là pour nous passer de la pommade et mieux encaisser les actes de torture qui vont se profiler, ce n’est que pour mieux nous surprendre par une finalité totalement nihiliste. De là à dire que ce segment est pro néo-nazi, il n’y a qu’un pas facilement franchissable. Le segment est sur une corde raide qu’il ne franchit pas, mais sur laquelle il a besoin d’être pour jouer de son devoir de mémoire. Kowakowski tente de donner une justification aux actes des néo-nazis par un monologue décrivant toute la haine d’une stigmatisation de leurs idéologies. En nous forçant à adhérer à la parole néo-nazie (pour les besoins de sa conclusion, cela ne veut pas dire que Kowakowski dit que c’est moral), le réalisateur frappe très fort. La vraie angoisse pour lui n’est pas que certaines personnes continuent de véhiculer ces messages atroces, la vraie angoisse serait que ces messages soient pris en pitié et deviennent acceptable. La fin du segment nous amène à refouler cette idée de pardon. Ce crime contre l’humanité qui impute aux nazis ne peut pas, ne doit pas être pardonné, jamais ! La pire abomination ne réside pas dans les actes brutaux pour Kowakowski, la pire abomination réside dans le nazisme qui empoisonne la pensée. Si l’esprit est endoctriné, rien ne pourra le sauver. Voilà ce que dénonce Make a Wish. C’est un segment, on se répète, d’une violence insoutenable, à la portée idéologique qui peut être interprétée comme tendancieuse, mais à la réflexion bien plus creusée qu’il n’y paraît. A réserver aux estomacs les plus accrochés.

Quand vient le tour d’Andreas Marschall de nous livrer son segment, nous sommes déjà terrassés. German Angst affiche 60 minutes au compteur et on se demande ce que peuvent nous réserver les 50 dernières minutes. Alraune est l’histoire la plus longue du film, et probablement la plus facile d’accès. Marschall vient nous conter un récit pervers et insidieux sur fond de société secrète. Un récit qui aurait eu une place de choix dans une anthologie type Masters of Horror. Alraune prend le temps d’introduire ses personnages, permet au spectateur de retrouver ses esprits avant l’apothéose finale. Car, oui, même s’il est moins graphique, ce dernier segment ne fait pas tâche au sein de ce triptyque. Alraune dénonce une perversion moderne, générée par les rencontres sur les réseaux sociaux et de tout le malheur que cela peut engendrer. Une histoire aux tons résolument fantastiques où il sera question de body horror, ce qui ne déplairait certainement pas à David Cronenberg. Le réalisateur va exploiter le sexe comme une arme, comme moyen de négociation, comme moteur de vie et de mort. Au-delà de son écriture bien maîtrisée et de ses acteurs flamboyants, la réalisation fait des étincelles et offrent des séquences d’une beauté graphique hallucinante. On en prend clairement plein les mirettes, c’est un vrai délice des sens. Tout cela, bien évidemment, cachera une conclusion loin d’être joyeuse, mais où l’on verra poindre un humour noir assez bienvenue. La fin du film nous ramènera clairement vers le ton final employé par Buttgereit dans Nekromantik. Avec cette fin, Andreas Marschall boucle la boucle et renferme cette anthologie d’une manière prodigieuse. Bien sûr, c’est une fin qui parlera nettement plus à ceux ayant vus Nekromantik, mais elle n’est pas élitiste pour autant et se suffit à elle-même pour être comprise, ne vous en faîtes pas.

German Angst est une anthologie de l’horreur comme on n’en avait pas vu depuis bien longtemps. Accusant un style narratif et visuel empreint de la personnalité de ses trois réalisateurs, le film ouvre une porte sur une réflexion viscérale d’une violence moderne et actuelle qui se traîne toutes les séquelles d’un passé bien lourd dans l’histoire de l’Allemagne. C’est une œuvre à ne pas mettre devant tous les yeux (surtout Make a Wish). German Angst ne démérite pas sa réputation d’œuvre coup de poing. Le week-end ne sera pas de trop pour vous en remettre. Shadowz frappe un grand coup avec l’acquisition de ce projet obscur.

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Article réalisé dans le cadre d’un partenariat avec la plateforme Shadowz.

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