France : Télévision.

Réalisateur constamment surprenant, cinéaste et auteur capable de redéfinir les fondations d’une Oeuvre pour le moins hétéroclite, Bruno Dumont resurgit cette année avec son dernier long métrage intitulé France, potentiel prétendant à la Palme d’Or du 74ème Festival de Cannes. Depuis son premier film La vie de Jésus (drame social convoquant le naturalisme de l’émission TV belge Strip-Tease), le Grand Homme n’a jamais cédé ni au confort ni aux habitudes, encore moins au divertissement : du très hardcore Twentynine Palms constituant un récit horrifique aride captant la topographie des espaces désertiques américains au redoutablement abstrait et lapidaire Hors-Satan en passant par son plus récent Jeannette (musical narrant l’enfance de la Pucelle d’Orléans entièrement tourné en son direct dans le plus pur effet d’une distanciation proprement désarçonnante), Bruno Dumont semble en permanence interroger la, sa grammaire et la, sa syntaxe cinématographique à des fins sans doutes purement réflexives à l’égard du spectateur, préférant parier sur son exigence que sur ses éphémères désirs d’évasion… Une fois encore il étonne puis sidère littéralement avec France, fracassante satire du monde du journalisme à mi-chemin entre la farce mal taillée voire grotesque et le drame conceptuel aux résonances pratiquement fantastiques, irréelles, comme en décalage de la production d’un certain cinéma français pépère et dépourvu d’audaces. C’est en tout point magistral, courageux et remarquable d’intelligence dans le même temps.

À l’instar de Jeannette et de sa suite Jeanne (seconde partie que nous n’avons hélas pas pu encore découvrir au moment où vous lisez ces lignes, ndlr), France est la libre adaptation d’une oeuvre de Charles Péguy joliment titré Par ce demi-clair matin suivant à la trace la figure de France De Meurs (interprétée par une Léa Seydoux quasiment sublimée par la caméra de Dumont), une jeune journaliste de télévision à la fois ambitieuse et un rien narcissique animant le programme Un regard sur le Monde, émission de reportage chapeautée par le média i. Des deux fronts constitués par le plateau télévisuel et le terrain, la figure de France tire une célébrité mêlée de cynisme et de superficialité, peu scrupuleuse des moyens qu’elle utilise à dessein : entre une théâtralisation indécente de son image mise au devant des évènements politiques fadement et très (trop) légèrement exploités, une prostitution du réel outrageusement romancée, maquillée par la journaliste, Un regard sur le Monde dévoile assez vite ses limites morales et déontologiques. Dès la première séquence, le réalisateur exprime la laideur et la vulgarité de l’environnement de France De Meurs, entre sa coach logiquement (et donc intelligemment) incarnée par Blanche Gardin et une instrumentalisation exemplaire du président Emmanuel Macron, livrant à son corps défendant une prestation idoine, sous le signe d’images d’archives habilement incorporées à la scène inaugurale proposée par le cinéaste… Le film prend de vrais risques, n’hésitant jamais à forcer le trait ni à prendre à bras le corps son sujet à priori caricatural, parvenant pourtant et miraculeusement à élargir la palette d’actrice de Léa Seydoux, qui trouve là l’un de ses plus beaux rôles de composition.

Bruno Dumont connaît, sait, a résolument conscience de ce qu’est un plan de cinéma et une image de télévision : France entretient cette science audiovisuelle abâtardie en jouant habilement sur les deux tableaux, entre le monde des plateaux au coeur duquel règne la violence d’une hypocrisie quasi-pornographique et celui du terrain au coeur duquel tout n’est que fabrications, répétitions et mensonges vendus comme vérités. L’auteur du film met en abyme ce qui est vu (le plan de cinéma, l’image télévisuelle) pour mieux conserver la distance inhérente à sa démarche ; il réalise un authentique moment de pur cinéma, gardant délibérément les imperfections captées par sa caméra pour mieux mettre en évidence les limites du dispositif filmique, décidément incapable de restituer la complexité du réel. Un film moderne, courageux et d’une liberté presque inespérée : France divisera certainement son public, dérangera sans doutes par le caractère parfois trop appuyé de sa charge satirique, mais restera l’une des très grandes surprises du dernier Festival de Cannes. L’un des meilleurs longs métrages de Bruno Dumont.

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