Benedetta : La dernière tentation de Virginie.

D’aucuns se souviennent du choc éprouvé lors de la sortie de Elle, pénultième film du grand Paul Verhoeven sorti en salles en 2016. Thriller psychologique haut de gamme, cette incursion dans l’intimité d’une femme mûre, tortueuse et torturée avait dès lors défrayé la Croisette cannoise la même année, belle réussite de cinéma craspec purement significative des obsessions de l’auteur de Total Recall et de Basic Instinct… Autant dire que son retour dans nos salles obscures était attendu comme une providence, d’autant plus que la promotion de son dernier film filtrait bon nombre d’informations plus ou moins croustillantes, pour ne pas dire sulfureuses. Sort donc ce 9 juillet 2021 – en simultané de sa projection en compétition officielle du 74ème Festival de Cannes – son dernier film laconiquement titré Benedetta, drame historique inspiré de l’histoire vraie de la nonne italienne Benedetta Carlini à l’âge classique, femme pieuse mais sexuellement libertaire et publiquement condamnée par ses pairs à laquelle la comédienne Virginie Efira – décidément très talentueuse – prête ses traits.

D’emblée le dernier Verhoeven étonne, déroute puis nourrit des sentiments contradictoires en notre for intérieur de cinéphile. Si dès les premières minutes Benedetta annonce franchement la couleur d’un premier degré prenant le risque de paraître ridicule (chose qu’il évite du reste de manière assez admirable, et ce malgré des effets spéciaux cheaps mêlés à des situations pouvant sembler grotesques pour les profanes) il s’avère dans le même mouvement très, trop appuyé dans ses nombreux effets de manche, jusqu’à atteindre une certaine redondance assez lassante : lourd, poussif, trop démonstratif et/ou explicatif dans ce qu’il cherche à déplier sous nos yeux, ce long métrage tour à tour ambitieux et malade fait presque figure d’anomalie filmique : trop sincère pour qu’on ne puisse pas l’aimer au moins un peu, mais pas assez nuancé pour que l’on accepte de l’adorer corps et âme. La reconstitution visuelle (comprendre la direction artistique) du XVIIème Siècle témoigne certes d’un bel effort de crédibilité, des décors aux costumes en passant par le cachet des dialogues un tantinet médiévaux après l’heure…

On peut y voir (sans doutes un peu à raison) un académisme pas mal éloigné des précédents films de son réalisateur, périodes hollandaise et américaine confondues ; aussi Benedetta demeure beaucoup plus audacieux dans ce qu’il contient fondamentalement que dans ce qu’il expose formellement : montrant sa nonne titulaire avide d’amour charnel, sans entraves ni conditions pour finalement n’aimer que son prochain dans le Grand Tout, Paul Verhoeven s’inscrit dans la continuité du travail opéré par Martin Scorsese il y maintenant plus de trente ans. Si Marty montrait Jésus de Nazareth comme un pêcheur parmi les pêcheurs, simple fils de charpentier dans son très controversé La Dernière Tentation du Christ, Verhoeven montre une femme rentrée dans les ordres, mais affranchie de toute forme de culpabilité, qu’elle soit sexuelle ou religieuse. À ceci s’ajoute une dimension mystique qui pourra inspirer certaines réserves aux ayatollahs du sens moral inquisiteur, Benedetta rejoignant les célèbres figures transfigurées de l’Histoire, Jeanne d’Arc en tête. Le cinéaste fait preuve d’un grand respect pour son héroïne, ne la jugeant d’aucune façon, bien au contraire : Benedetta Carlini assume assez vite sa sexualité au cours du récit, la traitant comme un véritable Amour (un Éros) faisant corps avec sa propre spiritualité. L’hypocrisie de l’Église (représentée par l’idoine Charlotte Rampling dans le rôle de la Mère Felicita ou encore Olivier Rabourdin et Lambert Wilson – ici très précieux et agaçant) va de paire avec la liberté et le caractère très explicite des séquences d’ébats érotiques liant Benedetta à ses partenaires. Une fois encore Paul Verhoeven n’y va pas de main morte dans le cumul des effets trash et provocateurs (nous nous souvenons des passions saphiques et outrageusement clinquantes du sous-estimé Showgirls, et du fameux et terrifiant viol fantomatique du mésestimé Hollow Man), mais avec une telle foi dans son propos et sa vision de cinéma que nous ne pouvons qu’approuver cette démarche légèrement claudicante.

Virginie Efira, quant à elle, défend admirablement son personnage : cinégénique en apparence, l’actrice mouille littéralement sa chemise sans prendre peur de prendre des risques, à l’instar de son metteur en scène. Benedetta ose et propose pléthore d’idées transgressives, et si aujourd’hui les normes religieuses ont d’ores et déjà été révisées voire réécrites par bon nombre d’hommes d’Église ou de libres-penseur, il s’avère suffisamment audacieux pour que l’on s’y attarde, au moins le temps d’une projection. Un film aussi maladroit que courageux.

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