Moffie : Moffie-toi des communistes…

Des fois, ce qui rebute un public à l’accueil de films portant sur des sujets sociaux tels que le racisme ou l’homosexualité est la frontalité avec laquelle le propos s’impose à vous. La différence qui crée la haine chez certains est directement vue comme une tare où le raciste, sexiste, homophobe ou autre est malade dans sa tête. C’est forcément son avis qui n’est pas le bon. Certes c’est un fait dans de nombreux cas, mais c’est la manière dont le point de vue est imposé qui peut rendre le public réservé face au film. D’autant plus lorsque les sujets en question deviennent omniprésents dans nos débats politiques, familiaux et sociaux. En résulte une difficulté à accepter les discours qui bousculent nos habitudes, même si la volonté est louable. Catégoriser et généraliser les mentalités, que ce soit dans un sens ou dans l’autre, est le premier pas vers l’exclusion et la haine. C’est pourquoi des sujets qui font à ce point polémiques, même s’il nous apparaît logique le bien fondé du combat, nécessitent d’être traités avec beaucoup de prudence et de maturité. Un tour de force que Moffie parvient à faire avec brio.

Nicholas van der Swart vient d’avoir 16 ans, il a l’âge de faire son service militaire. Pendant deux ans, à la frontière de l’Angola, il découvre la politique ségrégationniste et anticommuniste du gouvernement sud africain. Envoyé au front pour défendre le régime de l’apartheid, il essaie davantage de survivre à la brutalité de l’armée et de ses soldats qu’aux horreurs de la guerre. Réalisé par Oliver Hermanus, il s’agit d’une adaptation du livre autobiographique d’André Carl van der Merwe sorti en 2011.

Bien que les sujets les plus communs lorsqu’on parle de l’apartheid sont le ségrégationnisme et le racisme en général, cet aspect n’occupe qu’une part minime du long métrage. Logique, une fois que l’on sait que « moffie » signifie « tapette » en afrikaans, que le film portera davantage sur l’homophobie. Pourtant il est intéressant de voir quel rapprochement fait le film sur ces deux questions et comment il interroge sur la stupidité des actes dont certains font preuve. En effet la question du racisme n’est frontalement abordée que le temps du courte scène pourtant magistralement émouvante. Cet homme noir qui ne fait qu’attendre sagement son train, restant impassible à la scène dont il devient le centre de l’attention à son insue. Subissant une haine si injustifiée et gratuite à laquelle il fait preuve d’un sang froid et d’une force de caractère imposant le respect. Il n’est face qu’à des gamins qui n’ont certainement pas une once véritable de racisme en eux. Il le sait, au fond, que ce ne sont que des gamins à l’esprit matrixé par leurs parents et certainement les médias locaux. Le plus risible dans cette scène, c’est de savoir ce qu’ils subiront par la suite. Comme un funeste retour de karma de leur imbécillité. La haine des noirs deviendra certainement le cadet de leur soucis, et cet homme, seul sur le quai, conspué pour sa couleur de peau, en a bien conscience. Ce qui se lit sur son visage n’est ni de la haine, ni de l’incompréhension, mais de l’empathie pour ces jeunes qui n’auront pas le temps de regretter leur geste, mais en subiront des conséquences suffisamment lourdes pour les faire réfléchir à ce qu’ils sont réellement. En une scène, la question de la ségrégation raciale est pliée. Un pan de l’histoire aussi invraisemblable qu’horrible, réglé en seulement quelques secondes.

Le traitement de l’homosexualité ne sera évidemment pas aussi expédié. Le film en fait son sujet principal et a encore de nombreuses choses à transmettre au travers de cette question. Finalement, le service militaire est plus une école de la vie, très dure et répressive, qu’un véritable entraînement militaire. Au même titre que l’on rend les gens racistes grâce à un pernicieux lavage de cerveau de masse, on les rend également homophobe. Et pourtant, quoi de plus efficace pour rendre quelqu’un homosexuel que de l’enfermer pendant 2 ans dans une chambrée remplie intégralement de jeunes hommes en pleine découverte de leur sexualité. Ça ne rate pas, divers jeunes garçons découvrent leur attirance pour des personnes du même sexe. C’est là que la vie en camp reflète la vie quotidienne générale. Certains seront compréhensifs, d’autres les dénonceront. Vivre son amour à visage caché et feindre d’être un gros beauf qui pense qu’au cul devient le quotidien de certains de ces jeunes amants. Ceux que l’on découvre avoir viré de bord partent en cure, puisque c’est une maladie, tout comme le fait d’être noir, ou communiste. Mais là où Moffie réussi son tour de force, c’est dans la manière d’amener la question de l’homosexualité. D’ailleurs, du point de vue de notre héros il n’est même pas question d’homosexualité mais simplement d’aimer quelqu’un, plus qu’au travers d’une simple amitié. Quelque part, ce n’est qu’un hasard que la personne que l’on aime soit un homme. Son sexe n’est pas véritablement le fond du problème. C’est l’acceptation d’aimer quelqu’un pour ce qu’il est, ce qu’il dégage, son tempérament etc. Même si le sujet de l’amour ici devient le sujet de l’homosexualité, la question du sexe est en réalité très secondaire. Notre héros semble développer des sentiments pour l’un de ses camarades, mais ces sentiments reflètent la peine, la tendresse, la compassion qu’il éprouve pour le traitement que son camarade subit de la part de leur sergent. Le film ne nous dit pas si Sachs, le jeune homme qui a défendu Nicholas dès son arrivée dans le train, n’est pas lui aussi amoureux de Nicholas. Et en fin de compte, certains jeunes réfrènent simplement l’affection qu’ils ont les uns envers les autres de peur que cela ne soit assimilé à de l’homosexualité et ne voulant pas en subir les punitions. Une manière de montrer que le racisme et l’homosexualité ne sont que des constructions sociales pour asservir des intérêts autres, qui bien souvent nous dépassent.

Pour traiter de tout cela, Moffie est réalisé avec une force de conviction qui se ressent dans le montage. Si le jeu d’acteur est impeccable et donne l’intensité du long-métrage, la séparation avec des moments de flashback de la jeunesse de Nicholas en donnent le rythme. Accompagné d’une bande son si percutante, nul doute que Moffie vous tiendra en haleine jusqu’à son ultime scène. On notera des influences d’écriture très marquées et diverses, allant de Full Metal Jacket de Kubrick à Les Oubliés de Martin Zandvliet. Il s’agit quelque part d’une masterclass du genre avec un rythme et un talent d’écriture soignés d’une main de maître. La photographie est superbe avec une teinte d’image très prononcée des films de guerre. La chaleur des plans et des décors est mélangée à une froideur visuelle quasi constante, marquant une véritable rupture entre le sujet et son cadre. Le cadre est parfait pour une vie paisible et heureuse, mais l’environnement glace cette liberté inaccessible. Tous les sujets abordés le sont avec une maturité et une facilité déconcertante. L’histoire est poignante, criante de vérité et tellement incisive dans sa démarche. Le film ne paie pas de mine de prime abord et pourtant c’est une très belle expérience de cinéma. 

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