Ammonite : L’éveil de la passion

Remarqué en 2017 avec Seule la Terre, le cinéaste Francis Lee revient avec Ammonite, sa deuxième réalisation portée par Kate Winslet et Saoirse Ronan. Faisant partie de la sélection Cannes 2020, un temps prévu en salles puis décalé à cause du Covid, Ammonite est désormais visible chez nous seulement via Mycanal, seuls les chanceux ayant assisté à l’ouverture du festival Chéries-Chéris en juin dernier ayant eu la chance de découvrir le film sur grand écran.

Le film se déroule en 1840 sur la côte sud et sauvage de l’Angleterre. Paléontologue renommée ayant trouvé son premier fossile d’ichtyosaure à douze ans, Mary Anning vit désormais de façon modeste avec sa mère dans une maison au bord de la mer, là où elle peut continuer d’arpenter la plage tous les jours à la recherche de nouveaux fossiles et d’ammonites. Sa routine bien établie est perturbée par sa rencontre avec Charlotte Murchison, laissée seule en ville par son mari parti en expédition. Le mari a demandé à Mary de s’occuper de Charlotte dont la santé est fragile. D’abord réticente, Mary accepte et en s’ouvrant peu à peu à Charlotte, laisse entrer la passion amoureuse dans sa vie bien rangée…

On ne s’attardera pas ici sur la polémique fumeuse concernant la véracité du film. Mary Anning et Charlotte Murchison ont certes réellement existées mais rien n’a jamais prouvé qu’elles aient eu une relation. Francis Lee ne fait qu’extrapoler, s’attardant sur la réalité d’un contexte historique et de personnages (on n’a jamais connu d’hommes à Mary Anning et son amitié avec Charlotte Murchison est véridique) pour brosser une histoire et vu que nous sommes dans un film de fiction, cela est tout à fait autorisé, contrairement à ce que voudraient nous faire croire certaines personnes aimant soulever la polémique pour pas grand-chose. Ce qui compte est donc la valeur artistique du film et de ce point de vue, autant dire tout de suite qu’Ammonite est une réussite.

Certes la majorité du film est relativement austère, baignant dans une atmosphère grisâtre, collant ainsi à la routine de Mary. Mais quand la présence de Charlotte vient jeter le trouble de la passion sur elle, c’est une véritable faille qui s’ouvre et peu à peu la mise en scène se fait plus chaleureuse et plus lumineuse, culminant dans une scène de sexe remplie de sensualité et filmée avec justesse, sans complaisance. Ce qui intéresse Francis Lee n’est de toute évidence pas l’aspect sexuel de leur relation ni même la façon dont elle pourrait être perçue par les autres dans l’Angleterre corsetée du XIXème siècle. Non, ce qui l’intéresse c’est comment peu à peu Mary laisse entrer une flamme dans sa vie et s’autorise à aimer, à ressentir du désir et de la passion. C’est son point de vue que le cinéaste épouse, rendant son film difficile d’accès en premier lieu tant Mary est renfermée, besogneuse et peu encline à s’occuper des autres mais quand les fêlures de son personnage apparaissent, elles n’en deviennent que plus belles, dévoilées avec nuances sans jamais que le film ne se montre ostentatoire puisque Mary ne se livrera d’ailleurs jamais complètement.

Cette histoire d’amour entre deux femmes au bord de mer dans un contexte historique n’est d’ailleurs pas sans faire penser à Portrait de la jeune fille en feu qui présente certes de grandes différences mais qui savait lui aussi faire naître de la flamme amoureuse dans un cadre à priori froid. Ici Francis Lee confirme surtout le parallèle avec Seule la Terre, film qui de son côté explorait une relation homosexuelle dans la campagne du Yorkshire. Le cinéaste s’attarde également sur les rituels quotidiens émaillant la vie de Mary, rituels répétitifs capables de prendre une tout autre tournure quand Charlotte l’y rejoint. En s’intéressant aux détails de la vie de son héroïne, Lee fait naître une certaine poésie, aussi à l’aise quand il s’agit de filmer le quotidien que le visage de ses actrices.

Et quelles actrices ! Entre Kate Winslet et Saoirse Ronan, deux actrices formidables dont le talent n’est plus à prouver (même si Ronan mériterait encore plus de reconnaissance de la part du grand public), l’alchimie est évidente et fait des merveilles. Winslet, visage fermé et cœur réticent est bouleversante quand elle commence à s’ouvrir et à cesser de ressembler aux rochers monolithiques qu’elle trouve sur la plage. Ronan, quant à elle incarne une Charlotte fragile et passionnée avec beaucoup de ferveur. Sans vraiment créer la surprise, Ammonite s’avère donc être une jolie réussite, à la fois pudique et sensuelle, pleine de retenue, jamais aussi belle que lorsqu’elle nous fait apercevoir les fêlures de ses personnages qui ne sont jamais loin de nous rappeler les nôtres.

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