Février : Le Gardeur de troupeaux.

Trois âges de la vie de Petar le solitaire, berger de l’arrière-pays bulgare. D’abord enfant venu au monde des merveilles de la Nature en climat printanier, puis jeune adulte embarqué dans une réserve de soldats marins alors à l’acmé de leur force florissante, enfin vieillard au beau soir de sa vie et des saisons, offrant son crépuscule au mois donnant au film son intitulé : Février.

De cette structure clairement ternaire et linéaire, sciemment elliptique et de nature contemplative, le cinéaste Kamen Kalev tire une Oeuvre cinématographique à la portée méditative unique et d’une belle richesse évocatrice. Assez peu (re)connu dans nos contrées francophones, le Cinéma de Kamen Kalev s’est pourtant déjà vu récompensé de quelques prix et sélections dans divers festivals internationaux depuis la fin des années 2000, son dernier film jouant sur un style à la fois épuré et paradoxalement incarné, loin du vacarme et des tumultes de notre civilisation occidentale… Louable émule d’un certain Nuri Bilge Ceylan (grand auteur et réalisateur chouchou de la Croisette Cannoise depuis près d’une vingtaine d’années, ndlr) le cinéaste bulgare puise son inspiration dans la maturation de ses longs plans et parfois plans-séquence, accueillant la beauté d’un rayon de soleil susceptible de sublimer les monts et les vaux des contrées rurales de son pays natal, filmant le quotidien de Petra au gré de sa croissance, de sa jeunesse et enfin de sa vieillesse, bouleversant le spectateur devenant auditeur à l’entente d’un poème proféré dans l’intimité d’une caserne (et quel poème !), accompagnant le vol d’une escadrille de goélands planant par-delà les terres brûlées par la glace et le froid au sortir du métrage…

Kamen Kalev use des moyens du Septième Art moins à la manière d’un photographe qu’à celle d’un peintre figuratif, épaulé d’un chef opérateur remarquablement talentueux (le grand Ivan Chertov, qu’il faudra certainement suivre de près…) suffisamment doué pour capter des instants de vie puis les galvaniser picturalement in fine. Peu verbeux, pour ne pas dire lapidaire, Février se montre économe en termes d’explications et de simples commentaires, préférant placer les spectateurs face à son protagoniste-protéiforme, et surtout à eux-mêmes ; il propose et offre une belle expérience spirituelle, souvent voisine de la méditation en pleine conscience et du lâcher-prise empreint de poésie, techniquement précise et très aboutie évitant dans le même mouvement de panache la sophistication, l’outrance et le maniérisme. Il s’agit de voir pour voir, d’écouter pour écouter et simplement de se laisser porter par le parcours de vie de ce Petra évoluant au gré des saisons, des âges et des découvertes, restant peu ou prou dans le même environnement terrestre (même le second chapitre, très porté sur le pied marin, possède ses beautés telluriques…). « Tout ce qui est profond demande un voile » disait Nietzsche… Cette évidence cryptique trouve dans le film de Kamen Kalev un bel écho significatif, tant il réussit à saisir notre esprit et nos racines vivantes avec un aplomb tranquille et assuré.

Nous vous invitons à découvrir cette peinture en mouvance jouant de ses énergies saisonnières avec la grâce des grands artistes de ce monde… en vous laissant sur un petit extrait du gigantesque Fernando Pessoa (cet illustre écrivain ibérique anonyme, ndlr) qui peut-être vous offrira un avant-goût des beautés multiples – mais prodigieusement simples – du dernier long métrage de Kamen Kalev visible dès le 30 juin 2021. Bonne projection !

« Si je pouvais croquer la terre entière et lui trouver un goût, j’en serais plus heureux un instant… Mais ce n’est pas toujours que je veux être heureux. Il faut être malheureux de temps à autre afin de pouvoir être naturel…

Ce qu’il faut, c’est qu’on soit naturel et calme dans le bonheur comme dans le malheur, c’est sentir comme l’on regarde, penser comme l’on marche, et, à l’article de la mort, se souvenir que le jour meurt, que le couchant est beau, et belle la nuit qui demeure… Puisqu’il en est ainsi, ainsi soit-il… »

(Le Gardeur de troupeaux, poème XXI Fernando Pessoa – traduction française 1960)

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