Teddy : Rencontre avec Ludovic et Zoran Boukherma

Réaliser un film de loup-garou en France, c’est le pari que Ludovic et Zoran Boukherma se sont lancés avec Teddy. Déjà co-réalisateurs de Willy 1er en 2016, les deux frères jumeaux rendent ici hommage à tout un pan du fantastique ayant bercé leur enfance tout en offrant là l’un des plus saisissants portraits récents de la province française et de l’atmosphère de ses petits villages. Une gageure, réalisée avec amour et beaucoup d’humour par deux cinéastes à suivre, la singularité du ton global de Teddy étant l’une des belles découvertes de l’année. Après une sortie prévue en janvier puis au printemps et décalée suite au Covid-19, Teddy débarque enfin dans les salles le 30 juin prochain et c’est à ne surtout pas louper.

Après la Normandie dans Willy 1er, vous réalisez votre premier film à deux dans les Pyrénées Orientales, votre terre natale, qu’est-ce qui vous a attiré là-bas ?

Zoran Boukherma : C’est notre région, ça s’est imposé comme une évidence. Dès nos premiers films, on avait envie de filmer la ruralité. On a grandi à la campagne sans avoir eu jusque-là l’occasion de tourner chez nous et on savait que pour notre deuxième film, quelle que soit l’histoire, on allait le tourner dans le Sud-Ouest, c’était important pour nous.

Qu’est-ce qui vous est venu en premier lorsque vous avez travaillé sur le film : la chronique provinciale de ce jeune homme un peu perdu ou l’envie de faire un film de loup-garou ?

Ludovic Boukherma : C’est l’envie de faire un film de loup-garou. Après Willy 1er, on était dans une phase d’écriture assez compliquée avec un scénario dont on avait fait plusieurs versions mais ça avançait difficilement. Et puis on est partis en vacances dans le Jura en famille pour décompresser et on avait sous la main des trucs de farces et attrapes dont des petites déguisements de loup-garou. Et on s’est dit pourquoi pas faire un petit court-métrage de loup-garou filmé avec le téléphone portable de Zoran pour décompresser. Comme avec le caméscope quand on avait 12 ans donc on a fait un film ketchup de loup-garou vraiment juste pour le fun. Et cette envie est restée car je pense qu’on s’était mis trop de pression sur le deuxième film et on avait la volonté de retrouver cette dimension un peu plaisir de cinéma. On s’est donc attelés à l’écriture d’un film de loup-garou et pourquoi le loup-garou, c’est parce qu’on avait constaté que la structure traditionnelle du film de loup-garou avec le type qui se fait griffer, qui se transforme en bête avant de tuer des gens et de se faire tuer à son tour, avait une résonance particulière aujourd’hui. Quand on regarde Le loup-garou de Londres en 2020, même s’il n’a pas été pensé comme ça, on ne peut pas s’empêcher d’y voir des parallèles avec l’actualité comme avec les attentats. On trouvait que c’était intéressant de proposer un film de loup-garou aujourd’hui avec cette lecture possible de la trajectoire dramatique du personnage.

Vous parliez du Loup-garou de Londres, justement quelle était votre approche de ce genre spécifique, vous aviez des références en tête ?

Z.B : On a grandi avec Les contes de la crypte, Wes Craven, John Carpenter…

L.B : Notre mère était excessivement fan de Stephen King et elle nous lisait ça le soir avant de s’endormir. On avait toutes les nouvelles, elle nous racontait les films qu’on n’avait pas le droit de voir parce qu’on était trop petits. Et puis après on a pu voir les films par nous-mêmes et même les mauvais téléfilms adaptés de King, on garde une espèce de tendresse pour eux. On a des références très américaines mais on voulait malgré tout faire un film profondément français, on ne voulait pas singer les américains qui, de toute façon, ont plus de budget que nous mais on voulait fusionner ce cinéma-là qu’on adorait quand on était petits avec la campagne dans laquelle on a grandi.

Justement à propos de budget, dans Teddy, on voit peu, voire presque pas le loup-garou, c’est une contrainte budgétaire ou une volonté artistique ?

L.B : Ça s’est bien goupillé cette histoire-là. Dès le départ, on savait qu’on ne voulait pas être trop dans la monstration. Plus on montre, plus on risque de décevoir l’imagination du spectateur. Dans les films de loup-garou comme dans les films d’extraterrestres, toute l’attente est assez jouissive et on se demande ce que ça va être. A partir du moment où l’on fait le choix de montrer, on se dit  »ah ok c’est ça » et ça perd un peu de sa magie. On voulait faire la même chose avec notre loup-garou, montrer des petites choses touche par touche et ça rejoignait l’économie du film qui était assez mince.

Il y a quelques plans dans le film et même toute la trajectoire générale du personnage qui fait énormément penser à La belle et la bête.

L.B : Ah oui, il y a le petit côté romantique, l’exclusion sociale du personnage de Teddy, sa colère et son amour déçu, c’est vrai que ça rejoint un peu cette histoire. Et cette confrontation dans l’ombre avec la belle et la bête.

Sauf que chez vous, le dénouement est différent…

Z.B : Oui effectivement. Mais c’est drôle car à la base dans le scénario, il y avait une scène où l’on faisait danser le personnage de Christine Gautier avec le loup-garou mais on l’a coupé sur le tournage car ce n’était pas possible techniquement.

L.B : C’est vrai qu’il y a un parallèle. Mais ici la romance déchue finit mal, le rejet de la belle transforme définitivement Teddy en bête.

C’est votre deuxième film mais on voit déjà un fil rouge qui se dégage dans votre cinéma : ancré dans une certaine authenticité avec un ton légèrement décalé. Comment vous définiriez votre style ?

Z.B : Je ne pense pas qu’on fasse exprès d’avoir un style. Ce qu’il y a à l’image, c’est le résultat de tout ce qu’on ne sait pas faire. On fait des choses de la manière la plus simple pour nous, avec nos connaissances techniques et ça donne forcément le résultat final. Après, on voulait vraiment mélanger le genre et la comédie, dans une démarche d’hommage à tous ce cinéma d’horreur des années 80 comme les Freddy qui sont capables d’être terrifiants tout en étant drôles, du cinéma qui ne se prend pas totalement au sérieux, avec un léger décalage.

L.B : On aime bien le second degré, c’est important pour nous.

Z.B : On a grandi dans un milieu populaire à la campagne, on a une attache très forte pour ce milieu-là. On a envie de filmer la ruralité, des gens qui ne sont pas forcément des acteurs, des gens qu’on croisait quand on était petits. Ça c’est sûrement quelque chose qui va rester dans nos films, avoir cette espèce d’ancrage dans la vraie France. Bon l’expression ne veut pas dire grand-chose mais il s’agit de rester ancrés dans la campagne en tout cas.

L.B : Mélanger les acteurs professionnels et acteurs non-professionnels, c’est très précieux aussi. Avoir des seconds rôles qui sont joués par les habitants de la région où l’on tourne, c’est primordial pour nous.

Ça permet d’avoir une certaine authenticité.

L.B : C’est ça. Faire un film dans le Sud-Ouest et amener que des acteurs qui ne sont pas de la région, c’est une démarche qui ne nous intéresse pas. On a beau être hyper rigides sur la préparation de nos films où l’on découpe énormément en amont et où l’on se repose sur le texte, avoir des acteurs non-professionnels c’est s’autoriser des accidents et de la surprise, ça nous permet de nous sortir de notre maîtrise.

Quelle est votre dynamique de travail, vous faites tout ensemble ou vous compartimentez les tâches ?

L.B : On fait tout ensemble. On a une routine d’écriture très établie, tous les matins entre 7h30 et midi. C’est vraiment du travail à quatre mains et l’avantage de travailler avec son frère, c’est qu’on travaille avec quelqu’un qui partage vos références. On est jumeaux en plus, on a grandi ensemble, on a vu les mêmes films, quand on s’imagine un décor, on s’imagine quasiment les mêmes poignées de porte, c’est sûr ! Et puis il n’y a pas d’ego, on peut se dire les choses, c’est assez évident.

Il y a un côté de votre cinéma qui rappelle les frères Coen. C’est décalé et en même temps vous filmez une certaine ruralité comme ils ont pu le faire dans Fargo, Blood Simple ou No country for old men. Et en France, c’est rare de filmer aussi bien la province, ce que vous avez vraiment réussi à faire.

L.B : Si jamais un jour on arrive à la cheville des frères Coen, on sera vraiment ravis ! On aime beaucoup leur cinéma, on adore la façon dont ils arrivent à caractériser le moindre de leurs personnages secondaires, ce sont des maîtres.

Propos recueillis par Alexandre Coudray et Mathieu le Berre à Deauville le 6 septembre 2020. Un grand merci à Molka Mhéni.

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