Vaurien : Haute-Vienne que pourra…

Insaisissable, errant de place en place tout en cultivant une sympathie naturelle doublée d’un charme pervers, Djé déambule dans les jours et les nuits de Limoges, conservant au possible un passé qu’on devine trouble face aux rencontres qu’il semble ludiquement, inconfortablement presque, provoquer. Il est ni plus ni moins le vaurien du titre du premier long métrage très prometteur du confidentiel Peter Dourountzis, marginal et mauvais garçon invitant – dès les premières secondes du film – le spectateur à une expérience humaine pour le moins dérangeante, malaise magistralement développé par le réalisateur par l’entremise d’un protagoniste antihéroïque pétri d’ambiguïtés morales. Tour à tour amuseur et amusé, bagarreur à ses heures et oisif à sa perte, Djé s’impose d’emblée comme une figure dramatique hautement cinématographique, se fondant littéralement dans les décors urbains, nus et lugubres, de la capitale du Limousin tout en se démarquant des autres personnages étrangement attirés par son charisme et son mystère…

Fruit d’un projet développé sur plusieurs années, petit bijou d’indépendance à la française, Vaurien témoigne d’un savoir-faire technique et dramaturgique difficilement contestable de la part de Peter Dourountzis, le réalisateur offrant au public un modeste monument de sociopathie fascinante en attribuant le rôle principal à l’angélique Pierre Deladonchamps, acteur portant en très grande partie la puissance émotionnelle d’un film jonglant habilement entre réalisme social et romance dévastatrice ; figure aux côtés du classieux comédien l’espoir féminin fondé par la terriblement sensuelle et pétillante Ophélie Bau, actrice découverte et consacrée au travers du triptyque Mektoub, My Love de Abdellatif Kechiche (trilogie encore au stade du work in progress au moment où vous lisez ces lignes, ndlr) qui dévoile en la figure de l’insolente Maya une facette un tantinet plus sombre de son potentiel dramatique…

Bien que ce drame vériste nous place curieusement, pernicieusement au plus près des basques de Djé, Peter Dourountzis réussit avec panache à faire exister chaque figure de son édifiante plongée dans les milieux interlopes d’un Limoges quasiment fantasmé : videurs skins et fachos de boîtes de nuit peu fréquentables, ouvriers de chantier sexistes et complaisants, street-artistes et squatteurs jouant les robins des bois du dimanche en dévalisant les supérettes ou encore flics incapables d’éviter l’inévitable bavure (l’une des scènes du dernier quart d’heure de Vaurien n’est pas sans rappeler la rixe policière de L’esquive du même Kechiche ni la célèbre séquence de garde à vue de La Haine de Mathieu Kassovitz…). L’ensemble dudit métrage s’inscrit en toute logique dans la veine d’un cinéma social à la française très en vogue depuis près d’une trentaine d’années, parvenant à retranscrire une identité filmique avec un sens pratique et synthétique idéal, puisque la violence prédatrice de notre vaurien titulaire nous sera montrée dès la séquence inaugurale au détour d’une discussion avec une passagère dans un TGV pour le moins désarçonnante : intimidation, séduction, imprévisibilité… Djé semble d’emblée jouer à chaud et froid avec la gente féminine, promenant sa gueule de jeune premier pour mieux sidérer ses proies tout en volant dans les plumes de ses pairs virils et castagneurs.

Vaurien tient du premier essai forcément réussi et pleinement immersif, étant aux années 2010-2020 ce que Les Valseuses de Bertrand Blier est aux années 70, et ce que De Bruit et de Fureur de Jean-Claude Brisseau est aux années 80 : une peinture sociale montrant des hors-la-loi fatalement mis au ban des lieux, des voyous vivant d’amour et d’eau fraîche et se moquant furieusement du respect et de la bienséance… A ceci près que Peter Dourountzis insiste davantage sur le caractère néfaste, manipulateur de Djé, faisant de son décor sus-cité un élégant contrepoint. Un très bon et beau premier long métrage, visible depuis le 9 juin dans nos salles obscures heureusement ré-ouvertes depuis peu…

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