Nomadland : Living on the road

Depuis le début de sa carrière, Chloé Zhao se penche sur l’Amérique profonde, celle des laissés pour compte dont le cinéma hollywoodien ne parle quasiment jamais. Travaillant à mi-chemin entre la fiction et le documentaire, elle avait impressionné en 2017 avec The Rider, portrait d’un cow-boy appartenant à une autre époque, ne trouvant pas sa place dans un monde le dépassant. Avec Nomadland, récompensé par trois Oscars (meilleur film, meilleure réalisation et meilleure actrice), Chloé Zhao a collaboré pour la première fois avec des acteurs connus (Frances McDormand – également productrice, qui avait acquis les droits du roman de Jessica Bruder servant de base au film – et David Strathairn) mais sans pour autant renier ce qui fait la puissance de son cinéma. Avant que la cinéaste ne parte chez Marvel donner vie aux Eternals, elle clôt donc la première phase de sa carrière avec Nomadland, livrant un très grand film, fruit d’une maturation commencée avec Les chansons que mes frères m’ont apprises et The Rider.

Nomadland nous conte l’histoire de Fern, sexagénaire ayant perdu son emploi suite aux conséquences de la crise économique de 2008. Veuve et sans trop d’argent, Fern s’achète un van et décide de parcourir l’Amérique en menant une vie de nomade, voyageant d’état en état au fil des saisons pour trouver du travail. Elle y découvrira la beauté de ce mode de vie en toute simplicité mais également sa difficulté. Ce sera également pour elle l’occasion d’effectuer des rencontres et de faire son deuil, elle qui a tout perdu mais qui sait faire preuve d’une belle résilience. La force du film est de ne jamais sombrer dans la lourdeur, le récit évitant systématiquement les poncifs du genre. Il ne s’agit pas ici d’avoir de grande révélation face à ce mode de vie ou de faire évoluer les enjeux de son personnage d’un coup, il s’agit uniquement de capter la vie dans ces moments furtifs et délicats : moments de partage, de solitude, de tristesse, de joie ou d’émerveillement.

En confrontant Frances McDormand (dont le fabuleux visage marqué évoque à lui seul la dureté et le poids d’une vie passée, l’actrice n’ayant une fois de plus pas volé son Oscar) à la nature et à beaucoup de comédiens non-professionnels, Chloé Zhao obtient des instants profondément naturels. Sans avoir la volonté de tout expliciter, s’attardant avant tout sur des moments (magnifiés par la musique de Ludovico Einaudi), Zhao poursuit sa chronique d’une Amérique profonde, celle marquée à jamais par la crise économique de 2008 qui a chamboulé de nombreuses vies. La cinéaste capte ainsi avec beaucoup de tendresse le mode de vie nomade adopté par beaucoup de gens, les rapprochant des premiers pionniers américains. Chloé Zhao continue donc de travailler la filiation de son cinéma avec le western, interrogeant ses figures mythiques dans le monde moderne tout en laissant aux paysages le soin d’exprimer beaucoup en quelques plans superbes.

C’est la grande puissance de Nomadland : bouleverser à partir d’un rien, d’un paysage, d’un roc ou d’un visage pour montrer la richesse d’une vie qui, si elle est dénuée d’argent, n’est pas dénuée de richesse. Les moments les plus beaux du film sont ceux rappelant l’importance de la communion : avec la nature et avec les autres. Il n’y a ici pas de plus grands enjeux que ceux qui se jouent dans les visages des personnages et dans leurs mots. Conscients d’être marginaux et d’avoir tous perdu beaucoup, les personnages de Nomadland sont loin d’errer sans but, traçant leur chemin pour célébrer la vie et perpétuer une tradition aussi vieille que l’Amérique : avancer et explorer les territoires avec la certitude que quoiqu’il arrive, on se retrouvera tous au bout du chemin. Une leçon de vie et de cinéma, voilà ce que Chloé Zhao nous offre avec Nomadland. Après plus d’un an passé à vivre avec le Covid, voilà qui ne pouvait que nous faire du bien.

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