ADN : Crises de nerfs (de famille…)

Il n’est plus véritablement nécessaire de présenter Maïwenn, actrice et réalisatrice étant parvenue dès son premier long métrage (l’intéressant mais assez secondaire et en grande partie autobiographique Pardonnez-moi, ndlr) à imposer un univers éminemment personnel jalonné de personnages émotionnellement hénaurmes, tous plus ou moins inspirés de son parcours empirique. Du Bal des Actrices au très réussi (mais néanmoins racoleur) Polisse en passant par les vibrations instables liant les personnages du fascinant Mon Roi, Maïwenn Le Besco semble envisager le cinéma comme un gigantesque psychodrame au coeur duquel les relations interpersonnelles oscillent cahin-caha entre fusion et toxicité, passion et destruction, perversité et intimité. Ayant bénéficié d’une micro-sortie quelques jours seulement avant l’annonce du reconfinement de l’automne 2020 et de nouveau à l’affiche depuis le 19 mai 2021 (date providentielle et désormais advenue de la réouverture des salles, est-il besoin de le rappeler…) le cinquième long métrage de la réalisatrice n’échappe pas à la règle des précédents, transmettant son caractère et sa personnalité bien trempée et plaçant au premier plan ses comédiens et ses comédiennes pour mieux mettre en évidence son remarquable talent de directrice d’acteurs… et d’actrices !

Sur une durée étrangement ramassée d’à peine 90 minutes, ADN est le film et le portrait d’une famille, et plus précisément celle de Neige (Maïwenn de fait, dans un rôle à nouveau très autobiographique) jeune femme aguerrie en pleine quête identitaire et atavique au sortir de la mort de son grand-père aux origines algériennes ouvertement prononcées, patriarche et pilier d’une famille aux membres souvent désarticulés, parfois incompatibles qui vont même aller jusqu’à se disloquer littéralement les uns les autres une fois le doyen trépassé et enterré. Divisant assez clairement son film en deux parties (d’abord l’enterrement du regretté et ses retombées mêlées d’invectives, de rancœur et de scandale menés tambour battant par une famille incapable de laver son linge sale in situ ; ensuite l’exploration de Neige vers son essence identitaire découlant naturellement du deuil préexistant) Maïwenn n’y va évidemment pas avec le dos de la cuillère du point de vue du pur drama, montrant ses personnages sous un angle parfaitement antipathique au gré d’un premier segment à la limite de l’indécence : entre une mère m’as-tu-vu plaçant son ego de femme caractérielle devant la mémoire de son aîné (Fanny Ardant, impeccablement vulgaire et artificielle), un cousin bédaveur incapable de respecter les convenances hospitalières (Dylan Robert, en mode PNL) ou a contrario un frère ultra-psychorigide endimanché d’un balai là-où-tu-penses (Florent Lacger, assez mémorable) la smala crache, éructe et souille les volontés de son ancêtre préféré au profit du quant-à-soi respectif de chacun et de chacune…

Mais heureusement rien n’est simple chez la réalisatrice, celle-ci parvenant au fil des séquences à réellement faire exister tous ses personnages, transformant leur médiocrité en quelque chose tenant de la blessure intérieure assez poignante (la scène entre Maïwenn et Fanny Ardant aux abords du cimetière en est un bel exemple), du bon copain et confident un rien suffisant et plein d’humour joué par Louis Garrel au père largement raciste, aigri et dédaigneux interprété par Alain Françon… Certes ADN n’évite pas toujours le piège du cliché cinématographique, mais échappe cependant miraculeusement à celui de la caricature, faisant de ses stéréotypes des moyens narratifs susceptibles d’expliquer l’obsession identitaire de Neige, quadragénaire perdue dans les ruines d’une famille résolument dé-composée et pourtant riche d’idéologies diverses et variées et de valeurs contrastées, bonnes ou mauvaises, défendables ou condamnables, à prendre ou à laisser.

Du point de vue formel, ADN est fidèle et à la hauteur de son auteure : une caméra-loupe captant des crises, des joutes verbales ou encore des larmes et des cris too much jusqu’à plus soif, un humour noir et une peinture de la petite-bourgeoisie filmée à renfort de situations parfois malaisantes, une lumière peu marquée et sans grand relief enrobant néanmoins très correctement l’ensemble… Un film efficace, parfois dérangeant voire rebutant dans le registre émotionnel qu’il adopte courageusement, logiquement représentatif d’une actrice-réalisatrice qui, de long métrage en long métrage, veut et sait parler d’elle-même, tout en le faisant bien.

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  1. Maïwenn : En demi-teinte -

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