
Editeur sur lequel il faut compter, étoffant chaque mois nos étagères déjà lourdement chargées en films avec de nouvelles éditions, Carlotta a fait un joli combo le 7 avril dernier en sortant deux films tardifs et plutôt méconnus de John Huston : Le Malin et Au-dessous du volcan. Deux films arrivant à la fin de la carrière de ce cinéaste iconoclaste, sans cesse travaillé par les mêmes thématiques mais capable d’aborder chaque film de façon différente, avec à chaque fois une inspiration plus ou moins présente. Nul doute que Le Malin, sur lequel nous nous attardons dans cette chronique, fait partie des films ayant inspiré Huston. Cette adaptation d’un roman de Flannery O’Connor sentant bon le Southern Gothic a tout pour attirer le cinéaste : la description d’une ville du Sud des Etats-Unis semblant figée dans le temps où chaque habitant semble prêt à croire le premier prêcheur venu, un personnage principal attaché à aller jusqu’au bout de sa quête, aussi vaine soit-elle et des personnages secondaires à la fois escrocs et paumés cherchant un semblant de sens à une existence morne et solitaire.

Huston, au diapason de l’ironie mordante de Flannery O’Connor s’attache donc à respecter le roman et à suivre l’histoire d’Hazel Motes, jeune homme tout juste démobilisé de l’armée. L’esprit troublé, il se rend dans une ville où, à cause de son large chapeau, on le prend pour un prêcheur. Ne croyant en rien et courroucé par sa rencontre avec un prêcheur aveugle et sa fille, il décide de prêcher à son tour et de fonder son église, celle du Christ sans Christ, où ‘’les aveugles ne voient pas, les boiteux ne marchent pas et les morts restent comme ça’’. Fustigeant la crédulité des gens (à raison, puisque le prêcheur aveugle finira par se révéler bien voyant tandis qu’un autre homme organisera des faux prêches pour ramasser du pognon), Hazel s’imagine à la fois vivre dans le péché et rallier des gens à sa cause. Pétri de contradictions, hostile aux autres, Hazel finit par s’enfoncer dans sa folie sans aucune planche de salut, refusant l’aide qu’on lui propose.
Dans ce film peu aimable, l’univers que met en scène Huston pue la misère. Le monde qu’il dépeint semble devenu apathique et indifférent à la misère des gens et à la violence tandis que le premier venu peut se déclarer prêcheur tant les âmes égarées sont nombreuses, prêtes à tout pour un semblant de salut. Quand toutes les valeurs s’effondrent, comment faire pour survivre et trouver un sens à son existence tout en échappant aux désillusions permanentes ? Hazel Motes propose une réponse, terrifiante, obéissant à sa propre logique mais loin d’être stupide, égratignant au passage le monde et son hypocrisie. On ne sera guère surpris qu’Huston soit à l’aise avec le sujet mais on s’étonnera de sa capacité à embrasser son sujet et à signer un film résolument moderne alors qu’il avait plus de 70 ans, échappant à son âge en faisant preuve d’une redoutable lucidité.

Le résultat final est d’une belle maîtrise, sans esbroufe, Huston sachant exactement ce qu’il souhaite filmer pour nous plonger au plus près de l’âme tourmentée d’Hazel. Difficile d’accès, Le Malin saura cependant récompenser ses spectateurs en proposant un regard lucide sur le monde, certes peu agréable mais néanmoins d’une férocité qui fait tout de même plaisir à voir. C’est aussi l’occasion de voir Brad Dourif briller comme jamais. Encore au début de sa carrière, l’acteur trouve là son meilleur rôle, délivrant une interprétation enfiévrée, capable d’exprimer toutes les contradictions de son personnage en l’espace de quelques plans. Dourif a beau avoir une belle carrière derrière lui, il a rarement été exploité à sa juste valeur et à la hauteur de son talent. Quiconque éprouve déjà de l’admiration pour lui rien qu’à travers ses rôles les plus marquants (Chucky, Grima Langue de Serpent) devrait donc se jeter sur Le Malin où Dourif est en plus solidement accompagné par Harry Dean Stanton, Ned Beatty ou encore Amy Wright. De quoi découvrir une plus large palette de son talent et d’apprécier combien John Huston était un cinéaste singulier dont l’éclectisme force l’admiration, dans ses meilleurs comme dans ses moins bons films. Par chance, Le Malin fait partie de la première catégorie et vaut amplement un visionnage, dans un superbe master qui plus est !
Soyez le premier à commenter