Shadow in the cloud : Attention aux gremlins !

En ces temps de pandémie où les salles de cinéma sont toujours fermées, le manque de nouveautés se fait ressentir. Ou tout du moins, le manque de nouveautés excitantes puisque si l’on excepte les récentes sorties de Warner que l’on attendait avec une certaine impatience (Zack Snyder’s Justice League, Wonder Woman 1984, Godzilla vs Kong), tous les films un peu excitants sont pour l’instant remisés dans les placards des distributeurs en attente de jours meilleurs. La surprise a donc été bonne quand nous avons découvert Shadow in the cloud, disponible en Blu-ray et DVD depuis le 15 avril dernier chez Metropolitan. A priori un film qui ne payait pas de mine, dont on n’attendait rien mais qui se révèle être la proposition de cinéma récente la plus enthousiasmante qu’on ait pu voir depuis un moment, véritable roller-coaster nous faisant regretter qu’elle n’ait pas pu passer par la case cinéma.

Que raconte donc Shadow in the cloud ? Nous sommes en 1943. En Nouvelle-Zélande, Maude Garrett embarque à la dernière minute à bord d’un avion avec un mystérieux paquet et un ordre confidentiel. N’inspirant guère confiance à ses camarades de vol qui n’apprécient guère d’avoir une femme dans leurs pattes et qui lui infligent de nombreuses remarques misogynes, elle se voit reléguée et coincée dans la tourelle inférieure de l’avion le temps du vol. De là, elle distingue clairement une créature juchée sur l’appareil, arrachant du matériel, risquant de causer une défaillance mécanique. Mais évidemment quand elle l’annonce à l’équipage, personne ne la croit…

Le pitch s’inspire directement du mythe des gremlins. Ceux-ci, avant de semer la pagaille dans les deux films de Joe Dante sont une invention des pilotes anglais pendant la Seconde Guerre Mondiale. Pour eux, les gremlins étaient de vilaines créatures sabotant les appareils en plein vol et Roald Dahl, ancien pilote, en avait tiré un récit dès 1943 tandis qu’en 1963, l’épisode Cauchemar à 20 000 pieds de la cinquième saison de La Quatrième Dimension voyait William Shatner apercevoir un gremlin sur l’aile de l’avion dans lequel il se trouvait. Ce segment fut adapté dans le film La Quatrième Dimension et réalisé par George Miller. Et puisque tout est lié, notons que c’est un film sur lequel John Landis a également travaillé et qu’il n’est donc pas anodin de trouver son fils Max Landis crédité à l’écriture de Shadow in the cloud même si ce crédit relève finalement plus d’une question syndicale puisque Landis Junior, désormais persona non grata à Hollywood en raison de comportements odieux, violents et misogynes (il a été accusé d’agression sexuelle) a été très vite viré du projet et du scénario qui fut repris en main par la réalisatrice Roseanne Liang. Ceci explique d’ailleurs pourquoi le scénario est bon (Max Landis avait un certain don pour le pitch alléchant mais était absolument incapable de le tenir sur la longueur) et cela a certainement déteint sur le ton général du film où la misogynie à laquelle est confronté Maude Garrett est justement fustigée de toutes parts, le personnage parvenant à exister en tant que femme dans un monde d’hommes sans pour autant renier sa féminité.

Roseanne Liang a donc retravaillé le scénario en profondeur pour lui donner l’épaisseur nécessaire afin d’embrasser le plein potentiel de son pitch sans pour autant y sacrifier son héroïne, omniprésente à l’écran et incarnée avec une belle conviction par une Chloë Grace Moretz que l’on est toujours heureux de retrouver. Non seulement le film brille par une belle inventivité scénaristique (avec trois enjeux successifs qui finissent par se juxtaposer et surtout une longue première partie où la caméra ne quitte pas Maude Garrett enfermée dans sa tourelle, ne communiquant qu’avec les autres par le biais de la radio), mais il parvient à donner corps à ces idées avec une mise en scène au cordeau, pensée intelligemment pour allier spectacle et tension sans jamais que le rythme ne faiblisse. Certes, les 1h20 permettent justement de ne pas en faire trop mais entretemps, faire passer cinquante minutes à son spectateur dans une simple tourelle suspendue dans le vide relève d’un petit tour de force, exercice de style qui serait déjà suffisamment fort plaisant en soi tant il est réussi. Liang ne s’arrête cependant pas là et impose à sa deuxième partie une action trépidante, à la caméra inventive, captant parfaitement le tempo des séquences avec fluidité (et l’on fait peut-être le lien parce que Roseanne Liang est également néo-zélandaise mais il y a du Peter Jackson dans sa mise en scène). Sans avoir peur de l’anachronisme, Shadow in the cloud ose même donner à sa bande-originale des sonorités très 80’s qui ne sont pas pour nous déplaire (et d’ailleurs un film qui s’achève sur Hounds of Love de Kate Bush ne peut décemment pas être un mauvais film).

Jouant avec les codes du genre à travers son héroïne, démontant un à un les clichés que l’on peut avoir en tête à son égard et interrogeant le regard sexiste encore très fortement présent dans le cinéma de genre, Shadow in the cloud est un film malin, féministe (mais pas que, ce serait réducteur de lui coller cette étiquette) et plus intelligent qu’il n’en a l’air, équilibrant parfaitement la teneur de son propos avec le pur pitch de série B qu’il nous offre sans le prendre de haut avec un air auteurisant mais sans non plus virer à la gaudriole qui n’a que peu d’intérêt. Le mélange est donc réussi et surtout diablement réjouissant, avec un véritable travail de mise en scène à saluer. Un film qui fait un bien fou par l’enthousiasme et le cinéma qu’il dégage et qui nous fera suivre de près la carrière de Roseanne Liang !

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