La Trilogie du Milieu : La Mafia auscultée

Le Poliziottesco ou néo-polar italien a connu son heure de gloire dans les années 70. Cette décennie parcourue par la violence montant dans le pays (ce furent les Années de plomb) a servi de catalyseur à des réalisateurs désireux de mettre en images cette violence et de retranscrire l’atmosphère sombre de cette époque. Il en a résulté une multitude de films mettant en scènes policiers et gangsters avec un goût prononcé pour la violence, le sexe, le pessimisme et la brutalité d’un monde incapable d’exister en paix, où l’humanité préfère se tirer dessus plutôt que de se parler et où la loi du pognon régit les relations humaines.

Comme dans tous les genres aussi prolifiques, il y a évidemment du bon et du mauvais dans les films qui furent tournés. Elephant Films a eu l’excellente idée d’éditer, dans un superbe coffret bardé de bonus, La Trilogie du Milieu, trilogie réalisée par Fernando Di Leo entre 1972 et 1973. Fleuron du genre, reconnue et admirée partout dans le monde (notamment par Quentin Tarantino, qui s’inspira des deux tueurs de Passeport pour deux tueurs pour créer Jules et Vincent dans Pulp Fiction), cette trilogie se dévoile à nous dans ses versions intégrales non-censurées (qui, si elles rallongent de seulement cinq minutes les deux premiers opus apportent une bonne vingtaine de minutes supplémentaires au dernier film). Un vrai bonheur pour les cinéphiles donc, le coffret étant disponible depuis le 16 mars et s’arrachant déjà un peu partout.

Milan calibre 9

Composée de Milan calibre 9, Passeport pour deux tueurs (également appelé L’empire du crime) et Le Boss, cette trilogie regroupe tout ce qui fait le sel du Poliziottesco et s’intéresse aux agissements de la Mafia. On retrouve parfois d’un film à l’autre les mêmes acteurs (Mario Adorf dans les deux premiers, Henry Silva dans les deux derniers) mais ils jouent des personnages différents, chaque opus étant bien distincts les uns des autres, chacun apportant sa pierre à l’édifice du genre en variant son approche. Certes dans tous les cas, on se penche sur la Mafia et ses crimes ainsi que sa mécanique interne, on étudie la réponse policière à ces crimes, celle-ci se montrant soit impuissante soit complice. A chaque fois le nombre de morts à la fin du film est élevé (en même temps, Milan calibre 9 expédie dans ses cinq premières minutes trois personnes à la dynamite quand Le Boss s’ouvre par un massacre au lance-grenade dans un cinéma) et si le divertissement prime (avec fusillades et femmes aux seins nus), l’époque est néanmoins auscultée en filigrane, entre divergences idéologiques, montée du terrorisme et contestations étudiantes.

Des trois films de la trilogie, c’est le premier, Milan calibre 9 qui regroupe toutes ces thématiques avec le plus d’équilibre. Le film part d’un postulat simple : lors d’une transaction effectuée par la Mafia, 300 000 dollars ont disparu. Tous ceux ayant pu faire le coup ont été tués sauf Ugo qui est parti en prison. Lorsqu’il sort, ses anciens complices sont sur son dos, persuadé que c’est lui qui a gardé les 300 000 dollars et que le pognon est planqué quelque part. Pour prouver son innocence et éviter de lui aussi se faire tuer, Ugo devra ruser et composer avec des personnages peu recommandables… Dès le début, Milan calibre 9 frappe fort, non seulement par ses trois personnages littéralement explosés avant le générique de début mais aussi par la façon dont la caméra de Di Leo ausculte les transactions s’effectuant en pleine rue, filmant les mécaniques d’un business opaque mais lucratif.

Passeport pour deux tueurs

Le restant du film ne sera qu’un immense jeu de manipulation où tout le monde cache quelque chose et recherche son profit. Fernando Di Leo filme Milan comme un personnage à part entière, rongeant ceux qui s’y trouvent et qui n’ont d’autre choix que d’utiliser la violence pour survivre. Dans cette ville tentaculaire que le cinéaste explore de jour comme de nuit (avec une fabuleuse scène de nigh-club mettant en vedette la sublime Barbara Bouchet), même l’amour ne semble pas résister à l’appât du gain et si l’on gagne le respect d’un autre truand, c’est pour mieux l’entuber derrière. Nous sommes en 1972 et déjà un personnage annonce tristement que la Mafia est morte. S’il y a bien des boss assis derrière des bureaux (Lionel Stander, Adolfo Celi ou Richard Conte suivant les films), l’organisation telle qu’on l’a longtemps fantasmée n’existe plus. Il n’y a plus d’honneur et seul compte un principe absolu : l’argent. Nihiliste au possible, Le Boss, dernier opus de la trilogie met en scène une Mafia n’hésitant pas à sacrifier les siens dès qu’ils se mettent au travers d’une rentrée d’argent. C’est un ami de la famille depuis vingt ans mais ses actions nous coûtent de l’argent ? On le liquide sans sourciller. Un père adoptif, un vieil ami, une innocente, on sacrifie tout le monde pour le dieu Argent et tous les personnages du film l’acceptent sans problème, c’est la règle suprême, qui compte plus que d’avoir de l’honneur, des principes et une conscience tranquille.

Tueur monolithique dans Passeport pour deux tueurs et Le Boss, Henry Silva représente parfaitement le personnage acceptant sans problème les règles d’un jeu cruel. Formant un duo marquant avec Woody Strode dans Passeport pour deux tueurs, il est sur la piste d’un maquereau soupçonné d’avoir détourné de l’argent. Ce deuxième film de la saga, sans être mauvais, loin de là, est le moins bon parce qu’il s’égare un peu trop dans son récit. Celui-ci début justement avec les deux tueurs venus d’Amérique qui constituent notre point d’ancrage dans le film pour finalement les mettre de côté au profit du proxénète joué par Mario Adorf, acteur à la présence incroyable, parfois cabotin (surtout dans Milan calibre 9) mais dominant l’écran par son charisme. Le milieu de Passeport pour deux tueurs consiste en une course-poursuite incessante entre Mario Adorf et les tueurs le traquant, faisant basculer le film dans l’action pure et brute, haletante et prenant à la gorge. C’est cependant l’opus où le scénario manque le plus d’alchimie, équilibrant mal la présence de son duo de tueurs aux trognes formidables et de son héros désespéré, mac passant d’animal poursuivi à furie ayant soif de vengeance.

Le Boss

Le Boss paraîtra donc plus équilibré même si ses ramifications sont moins palpitantes que Milan calibre 9. Nihiliste et violent, Le Boss met en avant les ramifications de la Mafia jusque dans l’état grâce à l’argent. Nick Lanzetta (Henry Silva donc) l’a bien compris et avance dans le récit, monolithique et implacable, sans avoir le moindre soupçon de remords. Le film pousse le bouchon jusqu’à nous offrir un personnage féminin qui ferait hurler les féministes d’aujourd’hui. Fille de mafieux kidnappée, elle cède à ses ravisseurs avec lesquels elle couche pour passer tout le film la poitrine à l’air et quand elle ne couche pas avec tous ceux qu’elle croise, c’est pour se prendre des claques parce qu’elle parle trop ! Les femmes, qui passent une bonne partie du cinéma de genre italien à se faire violenter et à être dénudées trouvent ici une représentation d’un nihilisme absolu, se fondant parfaitement dans la tonalité d’un film qui n’a peur de rien et qui se redécouvre aujourd’hui dans toute sa noirceur, affichant une efficacité implacable.

Grand admirateur de Jean-Pierre Melville, Fernando Di Leo a créé avec ces films une galerie de personnages mémorables, figures tragiques évoluant dans un milieu duquel on ne sort pas indemne. Trognes patibulaires, tueurs dénués d’émotion, policiers impuissants ou complices, boss sacrifiant leurs pions quand bon leur semble, fort penchant pour la fusillade… Tout un programme hautement réjouissant, enfin visible en haute définition dans de très beaux masters pour (re)découvrir avec cette trilogie un modèle du genre, le néo-polar italien trouvant là ses lettres de noblesse à la fois violentes et farouches, regard désabusé sur un monde criminel plantant ses griffes un peu partout pourvu que l’argent continue d’affluer. Et nous tant que des types se font flinguer avec brutalité et que des filles se dénudent devant des gangsters charismatiques, le programme nous convient forcément !

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  1. La cité de la violence : On a connu plus brutal -

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