Société Anonyme Anti-Crime : Politique Violence

Société Anonyme Anti-Crime est le film fondateur du Poliziottesco, le Néo-Polar italien qui nourrira le cinéma européen dans les années 1970 en parallèle du western et du giallo toujours en vogue. L’Italie traverse alors une époque chaotique, appelée « les années de Plomb », où la tension politique va souffler un vent de révolte dans les rues italiennes. Une quinzaine d’années où la violence va régner dans le pays avec une anarchie rare entre actes de terrorisme, enlèvements et meurtres.
Le cinéma va s’emparer de cette vague pour nourrir des films d’une ultra violence symbolisée par des flics aux méthodes expéditives. Une variation de l’Inspecteur Harry dont le premier opus vient de sortir avec Clint Eastwood en vedette. La production italienne va surfer sur la popularité du film, mais tout avait commencé en amont avec Bandits à Milan réalisé en 1968 par Carlo Lizzani avec Tomas Milian à l’affiche. Trois années plus tard, Steno va mettre de côté son pseudonyme pour orchestrer un polar âpre, Société Anonyme Anti-Crime, œuvre charnière d’un genre qui va pulluler sur les écrans italiens pendant une dizaine d’années.

Steno est un honnête metteur en scène orchestrant des comédies pour le compte de Tòto, sorte de Chaplin/Louis De Funès à l’italienne, depuis 1949. Toto ne passera jamais la frontière, à l’image de Franco et Ciccio (Laurel et Hardy à l’italienne), mais connaîtra une énorme carrière derrière les Alpes. Steno règle pour l’acteur la plupart de ses films co-signant au passage les scénarii pendant une vingtaine d’années. Outre les productions pour Toto, Steno s’attelle en parallèle à nombre de comédies purement italiennes. Pour une comparaison à la française, il serait un Claude Zidi ou un Jean Girault. Mais au détour des années 1970, Steno retrouve son nom, Stefano Vanzina, pour les besoins d’un polar sec, Société Anonyme Anti-Crime, dont il signe le scénario et la mise en scène. 

Société Anonyme Anti-Crime se déroule à Rome où la corruption a gangréné toutes les institutions. Le commissaire Bertone tente malgré tout de faire son travail correctement. Alors qu’il recherche deux voyous ayant assassiné un joailler après un braquage, il retrouve l’un d’eux, mort, au bord du canal. Il va peu à peu découvrir qu’un groupe armé a entrepris de faire justice sur les malfrats libérés par une administration trop laxiste.
L’intrigue principale du long-métrage va débuter au bout de 40 minutes. Le groupe armé faisant régner la loi de façon expéditive va enchaîner les méfaits à une vitesse folle. Le film s’emballe à ce moment précis entraînant son intrigue dans un rythme infernal. Mais jusque là, Stefano Vanzina se concentre à dépeindre avec minutie les travers d’une institution laissée pour compte. L’inspecteur Bertone ne peut rien face à la perfidie d’un avocat l’obligeant à relâcher un criminel notoire. La presse met également une pression énorme sur la police guettant la moindre bavure. Le film montre une police sous pression plus maîtresse de ses faits et gestes. Elle répond des actes de violence commis lors de différentes manifestations mentionnés au début du film. 
La politique s’insère également dans le débat demandant de faire profil bas alors qu’une résurgence de la violence pollue la ville. Pour rendre compte de la réalité, Steno orchestre une séquence hors du commun avec un coup de communication de la police emmenant les journalistes dans un bus la nuit pour faire état des pires endroits de la ville de Rome. Bertone rend compte des lieux de prostitution et de l’ambiance de ces nuits sous le joug de la moindre violence pour le chaland naïf. 

Stefano Vanzina justifie en quelque sorte cette mutation de la société qui va servir le pouvoir de l’ombre pour arriver à ses fins. La milice n’est qu’une armée de l’ombre servant la destinée d’un parti déplaçant ses pions et manipulant la presse. La dernière partie du film est en cela passionnante, car jamais didactique sur le simple plan de la justice expéditive. Le jeu est politique entre échec et mat quitte à sacrifier quelques pièces dispensables. En cela, la dernière séquence est un choc moral sidérant concluant un long-métrage profondément nihiliste. La réalité obscure de l’époque prend le dessus sur l’empathie du spectateur envers le commissaire Bertone incarné avec force par Enrico Maria Salerno. Grand acteur italien habitué aux rôles taciturnes de flic, l’acteur s’était précédemment fait remarquer chez Dario Argento dans L’Oiseau au Plumage de Cristal. On le retrouvera cinq ans plus tard dans La Bête tue de Sang-Froid, autre choc du cinéma italien sous la direction d’Aldo Lado et dont le film vient de ressortir dans une magnifique édition chez Le Chat qui Fume. 

Société Anonyme Anti-Crime est une excellente découverte disponible en DVD chez Artus Films depuis le 5 janvier 2021. Une œuvre matricielle d’un genre qui envahira le cinéma international au cœur d’une époque chaotique où soufflait un vent de liberté et de révolte. Entre la Guerre du Vietnam et les agissements des Brigades Rouges en Italie, le Néo-Polar italien s’est nourri de cette violence pour dépeindre une société en mouvement, anarchiste se révoltant envers la droiture d’une politique en place statique et stricte. Stefano Vanzani signe avec Société Anonyme Anti-Crime un sombre témoignage de cette époque obscure avec un film sec et nihiliste en tout point nourrissant une lignée de propositions toutes plus tranchées les unes que les autres. Le choc se fera même ressentir jusqu’à la France dix ans plus tard avec Légitime Violence réalisé par Serge Leroy où Claude Brasseur côtoie Thierry Lhermitte et Christophe Lambert pour un pitch (trop) similaire pour n’être qu’une simple référence.

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