Antoine et Cléopâtre : « Il y a de l’avarice dans l’amour qui se laisse mesurer »

En 2019, Rimini éditait Jules César de Stuart Burge, adaptation shakespearienne relativement méconnue au casting surprenant (Jason Robards en Brutus, on se demande encore pourquoi) et qui, si elle ne brillait pas par la splendeur de sa mise en scène se montrait relativement intéressante. C’était surtout l’occasion pour Charlton Heston de retrouver le rôle de Marc-Antoine, vingt ans après l’avoir déjà incarné dans un film réalisé en 1950. Dans la continuité de ce Jules César version 1970, le producteur Peter Snell met donc en chantier une adaptation de Antoine et Cléopâtre, avec toujours Charlton Heston en Marc-Antoine, officiant également en tant que co-scénariste et désormais disponible en Blu-ray et DVD chez Rimini depuis le 16 février dernier. L’échec commercial de Jules César a cependant poussé le budget à être réduit (1,8 million de dollars, nous sommes loin des 31 millions du Cléopâtre de Mankiewicz !) et bien que Heston ait tenté de recruter Orson Welles à la réalisation, l’acteur finit par réaliser le film lui-même ce qui s’avéra pour lui une expérience déplaisante avec beaucoup de pression.

De fait, c’est ce qui frappe quand on découvre aujourd’hui Antoine et Cléopâtre : Charlton Heston est un comédien hautement charismatique mais certainement pas un réalisateur du même acabit. Visiblement dépassé par son travail de réalisateur, il se montre incapable d’apporter le moindre souffle épique et romanesque à son adaptation. Certes, malgré le budget réduit, certains décors ont belle allure et Heston peut compter dessus pour apporter du cachet à l’ensemble mais hormis quelques idées dispersées çà et là, force est de reconnaître qu’il n’a pas su faire grand-chose d’autre que de filmer ses acteurs déclamer du Shakespeare, sans avoir derrière le renfort nécessaire sur le plan de la mise en scène. Offrons-lui cependant du crédit, on comprend aisément combien la tâche fut difficile, surtout avec des délais assez courts et pour une première réalisation, cela reste honorable et ce d’autant plus que le Jules César de Stuart Burge (lui qui était un cinéaste expérimenté) n’était guère mieux sur le plan formel !

C’est un problème récurrent avec les adaptations shakespeariennes : si elles arrivent souvent à avoir des acteurs à la hauteur du texte, peu de cinéastes parviennent réellement à transcender formellement le côté théâtral des dialogues. Dès lors, on comprend pourquoi Heston voulait que Welles réalise le film, lui qui avec son Macbeth et son Othello avait donné au dramaturge anglais une toute nouvelle saveur avec de belles audaces formelles. Non seulement avec Antoine et Cléopâtre, Charlton Heston est conscient de ne pas être à la hauteur sur le plan de la réalisation mais il n’est pas aidé non plus par un casting qu’il n’a visiblement pas su gérer. On peut certainement saluer son audace d’avoir casté Hildegarde Neil (qui n’avait fait jusque-là que des apparitions télévisées) mais si l’actrice a suffisamment de charme et de nuances pour offrir à Cléopâtre quelques belles scènes, elle manque cruellement de présence et sur elle planent les ombres de Claudette Colbert et d’Elizabeth Taylor.

D’ailleurs, outre Eric Porter (inspiré en Enobarbus) et Heston lui-même (semblant compenser ses défauts de réalisateur avec une prestation enfiévrée et magnétique), le casting manque cruellement de charisme, engoncé dans de longues tirades sans parvenir à leur offrir une réelle puissance émotionnelle. On regarde donc ce film de 2h30 plus par curiosité cinéphile que véritable passion mais si celui-ci est partiellement raté, il n’en demeure pas moins assez attachant tant on sent l’amour de son réalisateur pour un auteur qui lui glisse entre les doigts et à qui il n’arrive pas vraiment à rendre justice. Antoine et Cléopâtre reste donc tout à fait honorable (et même supérieur au Jules César de Stuart Burge), à condition d’aimer Shakespeare et Charlton Heston, deux raisons suffisantes pour découvrir ce film méconnu, dépassé par ses ambitions mais cependant intéressant.

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