The Crying Game : When a man loves a (wo)man

ESC Distributions continuent de parfaire leur catalogue riche et éclectique. Entre les rééditions collectors des meilleurs films de Jean-Claude Van Damme ou encore l’acquisition du catalogue Paramount, la sortie qu’il ne fallait pas rater en ce début d’année était celle de The Crying Game. Réalisé par Neil Jordan en 1992, il lui aura permis de confirmer son statut de cinéaste indépendant solide et d’être nommé 6 fois aux Oscars, et même de repartir avec celui du meilleur scénario original. Sorti dans un tout nouveau master, The Crying Game se (re)découvre dans une copie somptueuse, avec une image au piqué soigné et sublime. Le film s’offre à nous dans les meilleures conditions possibles. Le combo DVD/Blu-Ray proposera également le commentaire audio du réalisateur, la fin alternative (uniquement présente jusqu’alors dans l’édition DVD US), un making-of et un entretien autour du film qui permettra de décortiquer tous les thèmes qui y sont abordés. Si beaucoup reconnaissent les talents de metteur en scène de Neil Jordan, le grand public ne connaît de lui que son Entretien Avec Un Vampire (et sûrement, le récent Greta). En dépit des qualités inéluctables de certaines de ses autres œuvres (La Compagnie des Loups, Michael Collins, Breakfast on Pluto, Byzantium), il demeure un cinéaste trop peu cité. The Crying Game a connu un succès indiscutable à sa sortie, mais il faut bien avouer qu’il avait été quelque peu oublié depuis. Quel bonheur de le voir être remis sur le devant de la scène (on ne reviendra pas sur la nécessité du travail des éditeurs et le soutien que nous apportons au support physique), d’autant, qu’à la réflexion, The Crying Game est probablement, à nos yeux, le meilleur film de Neil Jordan.

Jody, soldat britannique enlevé par l’IRA, est surveillé pendant sa détention par Fergus. Malgré leur opposition, une solide amitié va s’installer entre les deux hommes. Jody est tué au cours d’une intervention de l’armée britannique, tandis que Fergus parvient à s’échapper. Caché à Londres, il tente de commencer une autre vie. Mais il ne peut oublier Jody et la promesse qu’il lui a faite de retrouver sa compagne, Dil.

Écrit et réalisé par Neil Jordan, The Crying Game est un film qui prend le spectateur par la gorge dès son introduction afin de le manipuler comme il le veut. L’ouverture sur le fameux morceau de Percy Sledge (When a Man Loves a Woman) y sera pour beaucoup. S’il paraît anodin au premier visionnage, ce n’est que pour mieux venir raisonner en nous tout le long du film. D’une chanson sur l’amour, celle-ci se mettra à évoquer, tour à tour, le déchirement, la folie, la passion, l’amitié, la trahison, le doute…ainsi que tous les états liés au deuil. Il sera bel et bien question de deuil dans The Crying Game. Une thématique qui sera abordée de plusieurs manières et qui hantera tous les personnages, à un degré plus ou moins élevé. La première partie du film, la captivité de Jody, est saisissante. En l’espace d’une grosse demi-heure, Forest Whitaker déploie tout son talent et tisse des liens solides avec Stephen Rea. L’alchimie entre les deux acteurs est flamboyante. La richesse de l’écriture de Jordan saupoudre le tout et nous offre un merveilleux moment d’amitié, de tristesse et de tension. On se prend d’affection pour Jody, on n’a pas envie qu’il connaisse une fin funeste, même si on le sait condamné. Lorsque Neil Jordan amène la relation entre les deux hommes à son paroxysme, on se retrouve saisit par la violence des séquences. En l’espace de quelques plans, Jordan imprime les rétines et achève le transfert qu’il opérait entre le spectateur et Fergus. Ainsi, il pourra nous manipuler à notre guise. Il nous montrera Londres à travers les yeux de Fergus qui se refuse d’affronter la réalité, trop enfermé dans le deuil qu’il porte. Ces manipulations de la vue et des sens sont mis en scène avec une telle subtilité qu’on peine à voir arriver le fameux twist qui a fait la réputation du film et qui permet à The Crying Game d’aborder son troisième acte avec panache. Car, oui, le film se divise en trois parties bien distinctes qu’on pourrait décrire ainsi : l’enlèvement, le deuil et la catharsis.

Le fait de placer son histoire au cœur des conflits entre l’IRA et l’armée britannique n’est qu’un prétexte pour Jordan. Il avait employé l’exercice sur son premier long-métrage, Angel, déjà incarné par Stephen Rea. Une manière pour Jordan, sans doute, d’enterrer les horreurs qu’a connu son pays (l’Irlande) en nous montrant une souffrance autre que les conflits armés. Bien que l’IRA ait été au centre des informations à l’époque, Jordan veut appuyer d’autres souffrances. Impossible de détailler celles de The Crying Game sans être obligé de dévoiler le twist du film (qui, même si l’on est au courant, n’enlève rien à la puissance émotionnel qu’il dégage). Tout ce que nous pouvons dire, c’est que The Crying Game nous confronte à des stigmatisations raciales et sexuelles qui font encore écho dans notre société actuelle. Jordan décide de traiter ces stigmatisations, non seulement par le prisme du deuil (comme nous le disions ci-dessus), mais également par celui des impossibles amours qui vont habiter Fergus. Le triangle amoureux qui se joue entre Jody, Fergus et Dil arrache le cœur tant la pureté des sentiments est mis à néant par la violence qui poursuit Fergus. Une violence qui, à travers les agissements de l’IRA, devient un prétexte (une fois encore) pour mettre en lumière la pureté de la notion d’amour. The Crying Game palpe au plus près ce que représente l’amour, au-delà de la simple attirance physique. Il traite l’amour dans sa conception la plus noble, la plus pure et est un transperce-cœur en puissance.

Avec sa mise en scène soignée, son écriture minutieuse, les questions qu’il soulève et son casting prodigieux, The Crying Game est définitivement le meilleur film de Neil Jordan. S’il marque à son visionnage, ce n’est que pour mieux continuer à nous travailler encore et encore et nous laisser un souvenir fort. Quel bonheur de pouvoir l’avoir dans une copie propre et soignée. Encore une belle pépite à retrouver dans le catalogue d’ESC Distributions.

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