La Mission : Une route semée d’embûches

Encore une victime de la crise sanitaire. La Mission aurait dû, initialement, sortir sur nos écrans en ce début d’année. Il n’en sera rien, puisqu’il débarque au milieu du catalogue de Netflix. Encore une belle déception de se dire qu’on ne découvrira pas un western dans la meilleure condition qui soit. D’autant que c’est un genre qui s’est fait relativement rare pour qu’on le souligne. En dépit du fait qu’il se serve de son genre comme une toile de fond pour dérouler une histoire aux enjeux autres que ceux inhérents aux westerns « classiques », c’est un vrai manque et un regret de devoir le découvrir sur notre petit écran (même avec la meilleure installation son et image possible). Mais c’est un débat sans fin sur lequel nous revenons sans cesse depuis près d’un an, passons… Le tout nouveau film de Paul Greengrass (La Mort Dans La Peau, Green Zone) scelle les retrouvailles entre Tom Hanks et lui, huit ans après Capitaine Philipps. La Mission est adapté du roman éponyme de Paulette Jiles.

Cinq ans après la fin de la Guerre de Sécession, le capitaine Jefferson Kyle Kidd, vétéran de trois guerres, sillonne le pays de ville en ville en qualité de rapporteur publique et tient les gens informés, grâce à ses lectures, des péripéties des grands de ce monde, des querelles du gratin, ainsi que des plus terribles catastrophes ou aventures du bout du monde. En traversant les plaines du Texas, il croise le chemin de Johanna, une enfant de 10 ans, capturée 6 ans plus tôt par la tribu des Kiowa et élevée comme l’une des leurs. Rescapée et renvoyée contre son gré chez sa tante et son oncle par les autorités, Johanna est hostile à ce monde qu’elle ne connaît pas et va devoir rejoindre. Kidd accepte de la ramener à ce domicile auquel la loi l’a assignée. Pendant des centaines de kilomètres, alors qu’ils traversent une nature hostile, il vont devoir affronter les nombreux écueils, aussi bien humains que sauvages, qui jalonnent la route vers ce que chacun d’eux pourra enfin appeler son foyer.

Tom Hanks en vétéran fatigué, prit d’un instinct paternaliste insoupçonné et grand orateur enchanteur…pour sûr qu’on signe de suite ! On ne va pas se lancer dans les éternelles élucubrations qui encensent l’immense talent qu’il n’a plus à prouver (enfin, un peu quand même). Avoir Tom Hanks au générique est promesse d’un film réussit. À quelques rares exceptions (et on a du mal à trouver le contre-exemple ultime), il est impossible de sortir déçu d’une séance avec Tom Hanks. Il fait parti de ces acteurs avec une aura si forte qu’ils tiennent tous les projets sur leurs épaules. Et même si certains films peuvent paraître plus mineurs (on ne peut pas se passionner pour tous les genres et sujets côtoyés par l’acteur), ils n’en demeurent pas moins gravés dans un coin de notre tête, car seul le nom de Tom Hanks suffit, tout simplement. Acteur fédérateur, qui transpire la générosité et la bonté de tous les pores de sa peau, sorte d’Humphrey Bogart des temps modernes, il est de cette lignée des étoiles hollywoodiennes qui resteront éternelles. Mais revenons-en aux faits. La Mission est un film mineur de prime abord avec son sujet éculé jusqu’à l’os (à savoir l’apprivoisement de deux personnes que tout oppose dans un monde hostile et qui ont, chacun, des démons intérieurs à combattre). Pour autant, si nous ne tarissions pas d’éloges à l’égard de Tom Hanks ci-dessus, ce n’était que pour mieux appuyer nos propos sur le fait qu’on sera piqué au vif. L’acteur nous attrape dès les premières minutes, il nous prend par la main et suscite notre plus grand intérêt. Nous voulons savoir ce qu’il adviendra de ce personnage. Nous voulons savoir comment la guerre a pu briser cet homme de valeur. Nous voulons savoir ce qu’il cherche à fuir. Par ses talents de narrateur (et la richesse des dialogues qu’on lui impute), le capitaine Kidd nous est automatiquement sympathique. Figure paternelle malgré lui, il inspire la confiance, la droiture et le respect. La Mission est un film qui apporte un soin particulier à ses dialogues. Chaque ligne est essentielle. En effet, il y aura énormément de séquences contemplatives où le silence des personnages aura une importance capitale sur leur état d’esprit. S’ils doivent parler, c’est que ça doit être bénéfique à l’avancée de l’histoire.

Avec ses dialogues millimétrés et comptés, La Mission oblige Paul Greengrass à penser sa mise en scène. Non, ce n’est pas un euphémisme. Quand on connaît la réputation de metteur en scène du bonhomme, il y a de quoi avoir peur. Que les réfractaires du shaky cam se rassurent, Greengrass n’en use jamais. Il y aura bien une exception lors d’une séquence de dialogue entre Kidd et Johanna sur leur chariot, mais la caméra tremblante justifie la route semée d’embûches sur laquelle ils se trouvent. Mis à part cette séquence, Greengrass étoffe sa mise en scène, élargit le cadre, utilise des travellings à la grue pour souligner l’immensité du monde… Il n’y a rien d’innovant dans sa manière de mettre en scène, mais son assagissement était à saluer. La Mission est un régal pour les rétines. D’autant que le film va côtoyer plusieurs sous-genres que Greengrass va s’employer à mettre en scène en fonction du ton qu’il aborde. Il ne filme pas l’action comme il filmera le drame ou la comédie. La Mission est une sorte de chant du cygne pour Greengrass, une manière de nous montrer qu’il sait réfléchir autrement que par un abus du shaky cam qui, outre son dynamisme à rendre épileptique n’importe qui, était devenu son fardeau. Le shaky cam est à Paul Greengrass ce que les explosions à tout bout de champ sont à Michael Bay : un cliché difficile à enlever. Il aurait été dommage qu’il saborde La Mission par son outrecuidance artistique. Paul Greengrass fait preuve de sagesse ici. D’autant que le duo Tom Hanks / Helena Zengel frappe en plein cœur. Et si vous vous posez la question : oui, Hanks parvient à arracher la larmichette sans trop forcer. Il ne reste plus qu’à souligner la superbe musique de James Newton Howard pour finir de vous convaincre de voir La Mission. Entre thèmes grandiloquents et compositions discrètes, à peine perceptibles, le célèbre compositeur offre les couleurs idéales à l’appréciation de l’œuvre. Lorsque le film touchera à sa fin, dans un dernier tour de force oratoire magistral, on sera tenté de se lever du canapé pour applaudir. On en redemande clairement, et c’est là la plus grande preuve d’une franche réussite.

La Mission est un film qui touche à des thèmes usés jusqu’à la moelle, mais qui parvient à nous captiver de la première à la dernière minute. Les acteurs sont impeccables, Paul Greengrass étonne par une mise en scène douce et réfléchie et le score de James Newton Howard emporte le tout dans une grâce immense. Un bel objet qui vient s’ajouter au catalogue Netflix que l’on regrette de ne pas avoir découvert en salle…mais il vaut mieux cela que de ne pas l’avoir vu du tout…

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