Le Blues de Ma Rainey : L’ultime révérence de Mr Boseman.

Après son regretté et prématuré départ du monde du cinéma, c’est avec joie que nous pouvons voir, pour une dernière prestation, l’acteur vedette du Wakanda, Chadwick « Black Panther » Boseman dans le film Le Blues de Ma Rainey (Ma Rainey’s Black Bottom dans sa version originale). Sorti directement sur Netflix en cette fin d’année, à défaut de le revoir sur grand écran, la plateforme de SVOD nous donne au moins la réjouissance de le voir sur le petit. Le film base toutes sa communication sur la présence de Viola Davis en tant qu’actrice principale dans le rôle de Ma Rainey, or le véritable personnage principal n’est autre que Levee, joué par Chadwick Boseman. Aux côtés de ces deux icônes du cinéma, on retrouve l’excellent Colman Domingo, acteur époustouflant du petit écran, ainsi que les deux comparses de The Wire, Glynn Turman et Michael Potts. Pour les accompagner, la magnifique Taylor Paige joue l’amante de la reine du blues, Ma Rainey.
Il faut savoir que le projet initial vient de Denzel Washington qui signe en juin 2019 un contrat avec Netflix – après une approche avec HBO – pour produire 9 adaptations cinématographiques de pièces de théâtre de August Wilson. La première de cette série étant donc Ma Rainey’s Black Bottom, jouée en 1982, faisant partie des dix pièces composant le Pittsburgh Cycle d’August Wilson. Le titre de la pièce fait référence à une chanson du même titre de Ma Rainey faisant référence à la danse black bottom.

En 1927, Ma Rainey est considérée comme la reine du blues aux États-Unis. Période ségrégationniste en Amérique, elle se rend à Chicago pour y enregistrer un album. Son agent, blanc, prend des directives qui ne lui plaisent pas, notamment celle de faire interpréter par la chanteuse et ses musiciens une version de Black Bottom avec des arrangements de Levee. Levee quant à lui n’est là que pour se faire la main le temps que son business décolle. Il est un personnage confiant et déterminé ayant le but d’avoir son propre groupe de blues. Les autres personnages gravitent autour de ces deux tempérament extrêmes et opposés, et subissent complètement leurs comportements hypocrites et égoïstes.

Ce qui semble démarrer comme une comédie bonne vivante, joyeuse et dansante voit son genre évoluer de manière assez drastique. Le Blues de Ma Rainey jongle assez admirablement entre la comédie et la tragédie. Dans leur petite salle de répétition, les musiciens parlent comme des amis d’aventure. Ils refont le monde avec les mots et pensent (voire pansent) leur condition d’homme noir en pleine période ségrégationniste. Relativisme et auto-motivation sont de mises avant que le voile commence à se déchirer. La narration prend une tournure de plus en plus sombre avec le blues en symphonie. La maîtrise de la mise en scène se fait ressentir très rapidement par l’alternance des scènes, des séquences et du ton de chacune. Les caractères de chacun des personnages prennent littéralement le pas sur l’histoire. Ce ne sont plus les incidents et événements qui mènent la danse mais bien le caractère, et même parfois l’individualisme, des deux électrons libres de cette histoire qui dirigent la folie de son scénario.

Si le résultat final ne parlera pas à tout le monde, sa maîtrise à tous les niveaux ne fait aucune équivoque. Le blues est une musique sous-estimée qui démontre qu’elle entraîne l’histoire avec elle sans qu’on se rende compte à quel point ses sonorités s’accordent parfaitement à toutes les situations. La photographie adopte une teinte légèrement grossière à l’image pour rendre cette immersion des années 20′. Le rendu visuel colle bien même s’il peine à nous faire voyager tout de suite. Il faut attendre quelques minutes avant de plonger véritablement au sein de cette ville. Spécialement durant les scène en extérieur, un peu trop factices de prime abord. Pour autant le travail sur les décors et les costumes est excellent. L’atmosphère, à la fois pesante, chaleureuse et en continuel suspens, de la petite salle de répétition offre des séquences en huis-clos absolument fascinantes et d’une grande maîtrise.

Il faut rendre justice aux acteurs qui y sont pour beaucoup dans cette réussite générale. On pense forcément à Chadwick Boseman qui rend compte au monde de sa capacité à s’immerger aussi facilement dans n’importe quel rôle. Ses trois comparse de musique ne sont évidemment pas en reste puisque les différentes discussions prennent une ampleur certaine grâce à eux. Même si le personnage de Dessie Nae ne semble pas inspirée de l’histoire de Ma Rainey, elle lui volerait presque la vedette. Dans cette histoire finalement, Viola Davis n’incarne ici qu’une menace relativement secondaire. Elle influe directement les événements certes, mais reste en réalité secondaire sur les obligations de son entourage. Son avis est si catégorique à chaque fois, qu’elle enterre systématiquement toute tentative de prise de positions des acteurs secondaire de l’histoire.

En définitive, August Wilson signe, avec Le Blues de Ma Rainey, une oeuvre à la fois complexe et complète. Le sort tragique de certains personnages en fait une histoire inattendue et accrocheuse. Trépidante et particulièrement juste sur le rapprochement de thématiques fortes. La place des croyances dans un monde racialement aussi divisé. Les philosophies de vie s’entrechoquent au sein de plusieurs générations dont les maturités peuvent rejeter la responsabilité sur des personnes ou des états autant que sur leurs opposants directs. La pensée qui se construit derrière, bien qu’elle traite essentiellement de la question raciale aux États-Unis, montre à quel point les opinions et leurs conséquences sont complexes à faire comprendre selon le point de départ du raisonnement de la personne et de son vécu. Le Blues de Ma Rainey, au-delà d’offrir une ultime et excellente performance de l’acteur Chadwick Boseman, est particulièrement intéressant pour la postérité et d’autant plus impactante pour tirer la révérence de l’acteur.

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