La vengeance d’un acteur : Vengeance stylisée

Présenté en octobre dernier au festival Lumière dans sa version restaurée, prévu pour ressortir en salles avant le reconfinement, La vengeance d’un acteur est désormais disponible en combo Blu-ray + DVD chez Rimini Éditions depuis le 1er décembre dernier avec, à la clé, un master tout à fait splendide. L’occasion de découvrir ce titre réputé du cinéma japonais, réalisé par l’éclectique Kon Ichikawa (La Harpe de Birmanie, Le pavillon d’or).

Le film nous conte, comme son titre l’indique, la vengeance d’un acteur. Yukinojo, acteur oyama (spécialisé dans les rôles féminins) de théâtre kabuki reconnaît un jour dans son public à Edo les hommes ayant poussé son père à la faillite et au suicide, entraînant dans cette ruine le décès de sa mère. Avec l’aide son collègue acteur et d’un voleur intrigué par ses plans, Yukinojo met donc en marche les rouages de sa vengeance, montant les anciens complices les uns contre les autres et devenant très proche de Namiji, la fille du seigneur Dobé, son pire ennemi. Mais tombant réellement amoureux de Namiji en dépit de ses précautions, Yukinojo voit sa conviction vaciller et un ancien rival se dresser sur son chemin…

Quand le studio Daiei confia la réalisation du film à Kon Ichikawa, il s’agissait d’une sorte de punition. En effet, les précédentes réalisations d’Ichikawa n’avaient pas rencontré le succès escompté et la Daiei espérait, en confiant au cinéaste ce remake d’un mélodrame des années 30, le faire revenir dans le droit chemin. Frondeur et toujours à même de faire de ses films une expérience à part entière, Kon Ichikawa ne l’entend pas de cette oreille et dynamite complètement le registre auquel il s’attaque. Si dans les grandes lignes de son récit, La vengeance d’un acteur a effectivement des accents de mélodrame, c’est formellement que le film surprend. En effet, très rapidement Ichikawa brouille les frontières entre théâtre et cinéma, collant parfaitement à la toile de fond de son histoire. Ultra-stylisée, la mise en scène se réinvente à chaque décor, avec un refus de tout classicisme. Scènes minimalistes quasiment plongées dans le noir, rayons de lumière frappant le visage des acteurs, fumée pastel envahissant le décor, gros plans sur les sabres qui s’entrechoquent pour figurer les scènes d’actions, toile tendues en guise de décors comme sur un scène de théâtre et présence d’un personnage matérialisant la voix-off du film, à l’instar d’un chœur issu du théâtre antique, tout y est, permettant à Ichikawa de contrer le mélodrame vieillot qu’on lui demande d’adapter à nouveau.

Ici tout est propice à l’expérimentation dans un dispositif de mise en scène soulignant en permanence l’artificialité du récit, et donc du film, comme si nous-mêmes en tant que spectateurs assistions à une représentation dont on ne nous cacherait pas le caractère totalement fictif. Si cela emmène La vengeance d’un acteur vers des sommets formels et des séquences visuellement ébouriffantes, cela étouffe cependant l’émotion globale de l’intrigue à laquelle on a du mal à se rattacher. Certes, passées les premières minutes déroutantes, on suit l’histoire avec intérêt mais la mise en scène bloque toutefois le développement d’une attache réelle envers les personnages, empêchant l’émotion de survenir quand la mécanique du drame se met en place. Ce n’est guère la faute de Kazuo Hasegawa dont la double prestation est tout simplement incroyable de justesse et fait le cœur du film mais c’est bien la folie formelle d’Ichikawa, paradoxalement la plus grande qualité du film, qui empêche le récit de prendre son envol. Ce n’est tout de même pas une raison pour bouder cette pépite cinématographique tout à fait capable de jouer avec nos sens aiguisés de cinéphiles pour nous offrir une œuvre déroutante mais parfaitement unique en son genre, la preuve que n’importe quel film de commande peut se transformer en joyau quand un grand cinéaste est à la barre.

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