The Crown – Saison 4 : Loin des contes de fées

Après une troisième saison qui renouvelait le casting et qui avait su rester passionnante tout en relatant une période pas forcément très palpitante de l’Histoire anglaise, dire que cette quatrième saison de The Crown était attendue était un euphémisme. En effet, avec les arrivés respectives de Margaret Thatcher et de Diana Spencer dans l’intrigue, il y avait de quoi être curieux du traitement que Peter Morgan (une fois de plus derrière l’écriture de tous les épisodes de la saison) allait réserver à ces personnages fortement ancrés dans l’imaginaire collectif. Cette saison 4, disponible sur Netflix depuis le 15 novembre dernier, entend donc couvrir en dix épisodes 11 ans d’Histoire, celle-ci couvrant l’intégralité du mandat de Thatcher en tant que Première Ministre.

Comme on l’avait remarqué pour la saison précédente, maintenant qu’Elisabeth a trouvé sa place dans son rôle de monarque, semblant même parfois oublier les difficultés qu’elle a pu éprouver à ses débuts pour mieux réprimer ses enfants – tous malheureux – la série se concentre donc sur les seconds rôle gravitant autour d’elle. Si Margaret, campée avec grâce par Helena Bonham Carter, a le droit à un épisode centré sur elle qui en révèle un peu plus sur les vilaines cachotteries de la famille royale dès qu’il s’agit de préserver son image, Philip n’est que très peu présent, si ce n’est pour être d’un soutien sans failles envers sa femme, ayant enfin compris la nature de son devoir. Un devoir qui n’est pas du goût de tout le monde, Charles peinant toujours à accepter l’idée de devoir laisser Camilla, l’amour de sa vie pour faire un mariage princier avec Diana Spencer. Une idée qu’il accepte d’autant plus mal que Diana accapare l’amour du public, tous les projecteurs étant braqués sur elle et non sur lui, le futur héritier du royaume. Sa jalousie envers elle, son manque d’empathie et de discernement le rendent aussi geignard qu’avait pu être Philip dans les premières saison là où Charles avait toute notre empathie dans la saison précédente.

Mais ici clairement, Peter Morgan a choisi son camp et c’est bien Diana Spencer qui est l’héroïne tragique de cette saison. Josh O’Connor n’en livre pas moins une interprétation formidable, bénéficiant de l’écriture subtile de Morgan pour composer un personnage dont on comprend les profondes blessures, mais qui ne semble pas réaliser qu’il inflige à sa femme ce qu’on lui a infligé pendant des années. Au cœur de la majorité des épisodes de cette saison, c’est donc Diana, incarnée avec une belle fragilité et une ressemblance physique bluffante par Emma Corrin, s’imposant comme la figure centrale de cette saison qui ne nous épargne rien. On y découvre la jeune femme rapidement déchanter après son mariage de conte de fées. Celle qui se définissait avant tout comme une femme et une mère et non comme une princesse (ce qui lui valut l’immédiate sympathie du public) se retrouve vite piégée dans une prison dorée, aux prises avec un mari jaloux et une belle-famille incapable de témoigner la moindre affection envers elle. Son mariage n’est là que pour les apparences et seule, brimée, boulimique (ce que la série montre sans détour), elle n’est finalement qu’un trophée de plus au sein d’une famille qui veut bien l’exposer au monde quand ça l’arrange, mais qui entreprend de tuer dans l’œuf toute envie d’indépendance. Briller oui, mais il ne faut surtout pas déborder du cadre, surtout en débordant autant de vie et d’émotion là où la famille royale en semble dénuée. En prenant le parti de Diana, The Crown, tout en conservant une forme d’admiration pour la monarchie et la famille royale, n’en demeure pas moins farouchement critique envers elle, chose déjà bien amorcée précédemment, mais ici exposée avec encore plus de virulence.

Étonnant de constater d’ailleurs qu’Elisabeth (Olivia Colman, toujours aussi impeccable) a plus de cœur quand il s’agit d’écouter les problèmes du peuple (l’épisode centré sur Michael Fagan qui s’est introduit dans sa chambre pour lui parler des problèmes du pays est bouleversant et reflète les conséquences de la politique de Thatcher) et d’affronter sa Première Ministre autour de la question de l’Apartheid (brillant épisode 8) que lorsqu’il s’agit d’offrir un peu d’amour à sa famille. Si elle se remet en question dans l’intimité des épisodes de la série, son incapacité à montrer de l’affection à ses proches qui ont pourtant besoin d’une mère ou d’une sœur est l’effet à long terme de ses années de règne où la neutralité et l’absence totale d’émotion, d’abord un devoir, est devenu une seconde nature. Comme le dit Philip à Diana dans le dernier épisode de la saison, ils ne sont là que pour soutenir et que pour graviter autour de la seule personne qui compte : la reine.

Constat amer pour une série qui s’avère décidément brillante et dont la finesse d’écriture n’est plus à prouver. Peter Morgan arrive même à nous donner de l’empathie envers Margaret Thatcher dont le bilan social après des années de mandat est assez catastrophique, ayant même entraîné le royaume dans une guerre inutile (mais une guerre dont le pays sort victorieux, assurant à Thatcher une réélection) tout en ayant néanmoins relevé le pays économiquement. S’étant construite une réputation de femme insensible, menant d’une poigne de fer le pays, Margaret Thatcher est présentée dans la série comme une travailleuse acharnée, ayant conservé des valeurs simples et aimant profondément son pays tout en le menant à sa façon, réagissant de façon intraitable quand on veut lui imposer des idées. Bien que têtue et évitant toute forme d’empathie avec le peuple, pensant d’abord au pays, elle apparaît comme une femme complexe qui partage de toute évidence avec la Reine bien des points communs, les deux femmes n’ayant que six mois d’écart et ayant toutes deux apprises à faire leur place dans un monde dominé par les hommes. C’est peut-être pour cela que leur relation est dépeinte avec des frictions, mais s’achève sur une belle émotion dans une scène très mélancolique, Elisabeth remettant à Thatcher l’ordre du mérite, distinction remise à la seule discrétion du souverain. Saluons également la prestation de Gillian Anderson, jugée trop caricaturale par certains, trop empathique par d’autres, mais qui permet à l’actrice de démontrer l’étendue de son talent dans un rôle difficile duquel elle tire le meilleur, sachant embrasser la complexité de son personnage.

Tout en admirant le sens de l’ellipse absolument bluffant de la série et en saluant Peter Morgan pour la qualité de son récit (servi par une réalisation sans failles), on regrettera cependant que ce soit déjà la dernière saison avec Olivia Colman et Tobias Menzies dans les rôles titres, ceux-ci cédant leur place pour la prochaine saison en ayant peut-être manqué de temps de présence à l’écran – ou en tout cas – en ayant moins marqué les esprits que Claire Foy et Matt Smith, nécessité de la narration oblige, leurs personnages ayant finalement cerné leurs rôle au sein de cette monarchie. Cette saison, qui fait beaucoup parler d’elle en abordant deux personnages phares de l’Histoire anglaise, a semble-t-il relancé d’éternels débats entre historiens pour savoir qui a fait quoi et ce qu’il s’est réellement passé ou non. On rappellera à ces historiens adeptes des incohérences que The Crown est une fiction et que comme toute fiction, il est normal qu’elle s’octroie le droit de ne pas se cantonner à la vérité. À nous, spectateurs, de ne pas tout prendre non plus pour argent comptant, mais d’apprécier au contraire la puissance de la série, très certainement la meilleure du catalogue Netflix, alliant dimension shakespearienne aux drames intimistes de ses personnages avec un sens du tragique bouleversant.

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